Page:Desbordes-Valmore - Les Pleurs, 1834.djvu/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.
39
LES PLEURS.

Et je m’appelle folle en me sentant frémir.
Vois ! qu’un portrait de toi serait doux sous mes larmes :
Et je n’ai que ton nom ! ton nom ! pas d’autres armes.
Si je chantais, ma voix sortirait pour gémir ;
À mon ame qui pense elle reste attachée ;
Dans mes pâles tourmens je demeure cachée :
Alors je rêve un monde où dureront toujours
Les caresses du cœur et les libres amours !
Prends mes ailes, viens ! viens où jamais la pensée
N’est un poignard armé contre une ame oppressée.
Songes-y ! plus d’absence, et personne entre nous :
Là, nos trames d’amour n’ont plus de nœuds jaloux ;
Là, jamais un fil noir ne traverse la joie
Des fuseaux toujours pleins d’or et de pure soie !

Avant de t’avoir vu, devines-tu comment
J’entrevoyais du ciel le vague enchantement ?
Je regardais toujours, comme à travers un voile
On s’amuse à chercher la forme d’une étoile :
Sous l’immense rideau je ne pouvais saisir
Que des objets sans traits pour mes yeux sans désir :
Trop faible à m’élancer au-delà de mon être,
Je rentrais dans ma vie, en te cherchant peut-être ;
Car, toujours comme toi brûlante avec langueur,
Sans t’avoir vu des yeux, je te cherchais du cœur !