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LES PLEURS.


C’est que, pour retourner à ces fraîches prémices,
À ces fruits veloutés qui pendent au berceau,
Prête à se replonger aux limpides calices
De la source fuyante et des vierges délices,
L’ame hésite à troubler la fange du ruisseau.

Quel effroi de ramper au fond de sa mémoire,
D’ensanglanter son cœur aux dards qui l’ont blessé,
De rapprendre un affront que l’on crut effacé,
Que le temps… que le ciel a dit de ne plus croire,
Et qui siffle aux lieux même où la flèche a passé !

Qui n’a senti son front rougir, brûler encore,
Sous le flambeau moqueur d’un amer souvenir ?
Qui n’a pas un écho cruellement sonore,
Jetant par intervalle un nom que l’ame abhorre,
Et la fait s’envoler au fond de l’avenir ?

Vous aussi, ma natale, on vous a bien changée !
Oui ! quand mon cœur remonte à vos gothiques tours,
Qu’il traverse, rêveur, notre absence affligée,
Il ne reconnaît plus la grâce négligée
Qui donne tant de charme au maternel séjour !