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PRIÈRES.

Moi, je sais qu’elle a dit au lit de mon aïeule :
« Femme, ne mourez pas : levez-vous, me voici ! »
Et plus tendre, et plus bas, pour le dire à moi seule :
« Toi qui devais donner, pauvre ange, prends aussi. »
C’était… oh ! c’était vous, mon Dieu ! j’y crois encore.
Oui, frère, c’était Dieu, ce Père que j’adore,
Ce Roi, que son enfant n’appelle pas en vain ;
Dont le sang a coulé dans ma soif et ma faim !

Ainsi vous avez beau chanter, père et poète,
Beau mesurer votre âme et relever la tête,
Beau crier, plein d’haleine : À moi la vie ! à moi !
La terre est toute à l’homme, et l’homme en est le roi ;
Vous sentez par secousse une chaîne inconnue,
Dans la prison de chair où votre âme est venue.
Vous ayez beau prétendre à vos trésors épars ;
Vos trésors envahis glissent de toutes parts.
Dans la foule de rois où vous perdez votre ange,
Il ne vous reste rien qu’une fatigue étrange,
Une langueur de vivre, une soif de sommeil,
Et toujours la misère assidue au réveil ;