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LE PRESSENTIMENT.


C’est en vain que l’on nomme erreur,
Cette secrète intelligence,
Qui, portant la lumière au fond de notre cœur,
Sur des maux ignorés nous fait gémir d’avance.
C’est l’adieu d’un bonheur prêt à s’évanouir ;
C’est un subit effroi dans une ame paisible ;
Enfin, c’est, pour l’être sensible,
Le fantôme de l’avenir.
Pressentiment, dont j’éprouvai l’empire,
Oh ! qui peut résister à tes vagues douleurs ?
Encore enfant, tu m’as coûté des pleurs,
Et de mon front joyeux tu chassas le sourire.
Oui, je t’ai vu couvert d’un voile noir,
Aux plus beaux jours de mon jeune âge :
Tu formas le premier nuage
Qui d’un lointain bonheur enveloppa l’espoir.
Tout m’agitait encor d’une innocente ivresse,
Tout brillait à mes yeux des plus vives couleurs ;
Et je voyais la riante Jeunesse
Accourir en dansant pour me jeter des fleurs.