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D’un foyer presque éteint la flamme salutaire
Par intervalle encor trompe l’obscurité ;
Si tu veux écouter ma plainte solitaire,
Nous causerons à sa clarté.
Petite Muse, autrefois vive et tendre,
Dont j’ai perdu la trace au temps de mes malheurs,
As-tu quelque secret pour calmer les douleurs ?
Viens, nul autre que toi n’a daigné me l’apprendre.
Écoute ! nous voilà seules dans l’univers,
Naïvement je vais tout dire :
J’ai rencontré l’Amour, il a brisé ma lyre ;
Jaloux d’un peu de gloire, il a brûlé mes vers.
« Je t’ai chanté, lui dis-je, et ma voix faible encore,
Dans ses premiers accens parut juste et sonore ;
Pourquoi briser ma lyre ? Elle essayait ta loi.
Pourquoi brûler mes vers ? Je les ai faits pour toi.
Si des jeunes amans tu troubles le délire,
Cruel, tu n’auras plus de fleurs dans ton empire ;
Il en faut à mon âge, et je voulais, un jour,
M’en parer pour te plaire, et te les rendre, Amour.
Déjà je te formais une simple couronne,
Fraîche, douce en parfums ; quand un cœur pur la donne,
Peux-tu la dédaigner ? je te l’offre à genoux ;
Souris à mon orgueil, et n’en sois point jaloux.
Je n’ai jamais senti cet orgueil pour moi-même ;
Mais il dit mon secret, mais il prouve que j’aime :