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145En fin se transportant en sa douleur amere
Ell’ aborde Cybelle & luy dit : Sainte Mere
Je ne puis demeurer avec vous plus long temps,
Ma Fille me retire & ses trop foibles ans.
Cest âge est tant subjet aux fraudes trahissantes :
150L’ouvrage des Cyclops, les fornaises ardantes
Ne m’asseurent assez Trinacrie est un lieu
Dont la perfection est le sejour d’un Dieu :
Les flammes d’Encelade en tous lieux estincellent,
Leurs flamboians esclers mes cabinets decellent.
155Ore je veux ranger en endroit incognu
Mon bien aymé depost. Mais il m’est advenu
Un songe fort affreux durant la nuit obscure,
Qui tousjours m’a suivie en diverse figure.
Les bouquets jaunissans qui tiennent mes cheveux,
160Tombent sans que j’y touche : & bien souvent je veux
Cacher mon desplaisir qu’une piteuse trace
De mes pleurs ruisselans me vient noier la face.
Le sang va descoulant tout le long de mon sein,
Et mon sein est frappé de ma felone main.
165Las si je veux toucher la fluste de Lydie,
Elle gemit de mort : si de main plus hardie
Je batz le tabourin, il ne rend que des plains.
Ah j’ay trop demeuré ! ha bon Dieu que je crains
Un insigne malheur ! Deesse, dit Cybelle
170Ne remplissez point l’air d’une vaine querelle.
Pensez vous le Tonnant si peu songneux de vous,
Qu’il ne vueille darder son foudroiant courroux
Pour un gage tant cher ? aiez l’ame plus forte,
Et retournez pourtant où le desir vous porte.