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vaillamment l’art objectif de la Grèce contre l’enthousiaste ami qui voulait le gagner au Romantisme, et surtout contre les Schlegel, qui l’y eussent engagé par surprise. Sévère comme un dieu qui mépriserait à l’égal du néant toute création imparfaite, il se plaisait à répéter : « Le Goût ne se développe qu’à la vue de la Perfection. » Il demandait au drame une perpétuelle idéalisation de l’histoire, et peut-être eûtil condamné des chefs-d’œuvre contemporains au nom des Perses ou des Sept devant Thèbes. Quelquefois même, il portait ses scrupules un peu loin. Il désespérait qu’après Homère on trouvât des héros supérieurs ou même égaux à Achille ou à Ulysse, ces deux types si complexes et si humains, qu’ils lui semblent enfermer en eux la nature tout entière. Oui sans doute, ô Gœthe, la nature de l’homme antique ; mais ce qu’il restait à dire sur cette nature plus complexe encore de l’homme nouveau, infinie et démesurée, Hamlet l’a dit à son moment, et Pascal à son heure, et Alceste à son tour, et puis René, et puis Manfred, et puis Obermann ; et avant Obermann, Manfred et René, votre Werther, ô Gœthe, que vous auriez condamné trop rigoureusement, si votre large et compréhensif esprit n’eût été ouvert à l’inquiétude moderne aussi bien qu’à l’antique sérénité !

Ainsi, classique de tempérament et de génie, Gœthe avait été romantique par aventure, mais assez heureusement pour ne jamais répudier l’art, dont il sera toujours l’un des initiateurs, en dépit des préférences constantes de son goût. L’auteur de Gœtz de Berlichingen