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Phèdre, un Charmide, un Criton, âmes merveilleusement flexibles, douées par la nature de toutes les vocations divines, poètes de naissance, philosophes quand ils le veulent, héros quand ils le voudront ? Non ! C’est tout bonnement un pauvre garçon du Hanovre, fils de paysan et toujours un peu paysan lui-même, un certain Eckermann, tardif échappé de gymnase, polygraphe aventureux et brouillon, érudit sans lucidité et travailleur sans génie. Tel fut le Séide innocent de celui qui installaitla Mecque à Weimar. Réjouissons-nous de l’heureuse médiocrité d’Eckermann. Elle s’est parfaitement accordée avec les qualités natives decethon nête lettré pour nous donner l’œuvre que nous possédons aujourd’hui, exquise de fidélité et d’exactitude. Eckermann reconnaissant, sincère dans son enthousiasme, patient et laborieux, a pu, jour par jour, recueillir les paroles tombées de la lèvre de Gœthe. Le même Eckermann, plus souple d’esprit, ingénieux et inventif, eût perpétuellement trahi la pensée du maître par des ornements ou des commentaires, et nous eût présenté, comme d’Ablancourt, une suite d’infidélités que nous n’aurions pas songé à trouver belles. Secrétaire de Gœthe, il n’a voulu être que son sténographe et faire auprès de lui l’office qu’eût voulu remplir auprès de Sophocle l’antique Polémon. Bien lui en a pris, même pour sa gloire ! car Eckermann est désormais inséparable de celui qu’il achève de faire connaître à la postérité. Le monument appartient à Gœthe ; mais sans le modeste Eckermann, qui jamais l’aurait élevé ? Eckermann était donc toujours là, oreille au guet,