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livres d’enseignement, surprend-on d’incroyables doléances sur l’indigence prétendue de notre poésie ! On sait à merveille notre opulence dramatique ; on ne sait pas généralement que notre trésor lyrique, aussi étonnant que celui dont nous a doté Racine, serait digne d’êtregardé par les griffons des légendes et d’émerveiller la fabuleuse Golconde. Notre abondance dépasse l’Espagne et l’Italie, et certainement égale l’Allemagne et l’Angleterre, aussi fécondes sans doute, mais peut-être avec moins de continuité et de renouvellement. Un singulier bonheur, en effet, qui n’appartient qu’à notre poésie, c’est d’avoir à chaque quart de siècle, depuis la Renaissance, produit un mouvement nouveau, et de présenter ainsi aux curieux une suite d’inspirations diverses pareilles à des anneaux qui se relieraient dans une chaîne sans aucune ressemblance de forme ou de métal. Cette instabilité providentielle s’est maintenue dans notre lyrisme contre toutes les apparences, et ce n’est pas du romantisme que datent la hardiesse et la spontanéité. Seulement, avant le romantisme et ses illustres imitateurs, tous nos vieux poètes étaient dans l’ombre. Le succès des audacieux d’hier les en a tirés. Chose étrange ! ce sont les romantiques qui nous ont rappris les bons vers du XVIe et du XVIIe siècle, oubliés pour des madrigaux de Dorat et des tirades descriptives de Delille. Et dans cette anthologie de la veille, ce sont encore des poëtes et des critiques dévoués aux doctrines de 1830 qui nous enseignent la reconnaissance envers nos aïeux littéraires et le plus sincère amour de la tradition