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d’une clairvoyance universelle, c’est qu’il a sa tâche spéciale, son domaine à lui dans le grand domaine de l’observation. Ce qu’il introduit dans notre théâtre classique, c’est en quelque sorte, comme à Athènes, une comédie nouvelle, composée d’éléments antérieurs, assez compliquée d’incidents pour ne pas trop s’éloigner de la comédie d’intrigue, tenant à la comédie de mœurs par une peinture fidèle de la société contemporaine, et se rattachant à la comédie de caractère par l’invention et les développements de types vivants et durables. Cette nouveauté que Marivaux consacre, c’est l’étude, avant lui secondaire, chez lui dominante et complète, l’étude du cœur féminin. Cette étude, il l’a entreprise avec une intelligence de la femme qu’aucun autre poëte n’a surpassée, avec un art inimitable, et, ce qui vaut mieux, avec une incomparable vérité.

On s’est autorisé contre lui du petit nombre de ses ouvrages parfaits’: je le reconnais, Marivaux a beaucoup produit. Mais la production à cette époque n’offrait pas, comme aujourd’hui, un caractère de hâte fiévreuse. Non, chez Marivaux comme chez nos plus purs génies, la fécondité est un signe de joie intérieure, de belle et bonne santé de l’esprit. J’admets que dans ses pièces on opère des retranchements rigoureux. Supprimons toutes ses œuvres mal venues, d’abord une comédie en vers, et quels vers ! ensuite une tragédie d’Annibal. Marivaux célébrant Annibal ! cet esprit glorifiant ce génie ! La disproportion était trop manifeste. Marivaux n’eût pu tout au plus chanter qu’Annibal