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souplesse de Leconte de Lisle et de son privilége à jamais acquis de pouvoir tout comprendre, tout sentir, tout exprimer, comme un autre Ézéchiel qui, ranimant les poussières adorées, en ferait des dieux aussi vivants, aussi beaux, aussi redoutables qu’à l’heure fugitive où ces évanouis eurent leurs encens et leurs autels !

Depuis Curya et Bhaghavat, dans tous les volumes de Leconte de Lisle se retrouve cette révélation de l’Inde sacerdotale. Le sentiment du monstrueux et de l’énorme, si nécessaire quand on revient à cet Orient où la nature écrase et absorbe, n’a pas plus fait défaut au poëte que le sentiment de la proportion ne lui avait manqué devant le Parthénon et la Vénus Victrix. Jamais le sens de cette théologie indoue, si fourmillante et si compliquée, n’a été plus clairement saisie :

L’unique, l’éternelle et sainte illusion….
Ô Brama, l’existence est le rêve d’un rêve.

Telles sont les formules de ces étranges conceptions. Quel en est le mot suprême ? L’absorption dans l’Être unique, le panthéisme poussé jusqu’à l’abdication du mouvement, jusqu’au suicide vivant. Effrayante hallucination des brahmanes ! Amour vertigineux et terrifiant que nous appellerons la passion du néant !

De l’Inde au Nord le contraste est encore bien frappant. Là. le colossal et le vague se partagent la théogonie ; ici, une sorte de brume fantastique autour des batailleurs divins, la religion de l’épée, le culte de la