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sanglante et eût été écrasée. Peut-être aussi, en donnant la victoire à la démocratie libérale, eût-elle, dans ce cas, amené le pays à une évolution normale. Qui connaît les mystères de l’existence ?

Les membres mêmes de la Douma d’Empire, fatigués de leur inaction — bénévole au début, forcée ensuite — commencèrent à donner des marques d’un certain absentéisme que le président eut à combattre. Néanmoins, tous les événements importants de la vie russe trouvaient un écho chaleureux auprès de la Douma et du Comité ; ceux-ci votaient des résolutions de blâme, d’avertissement, en appelaient à la raison, au cœur et au sentiment patriotique du peuple, de l’armée, du gouvernement. Mais la Douma était déjà balayée par l’élément révolutionnaire. Ses appels pénétrés de la conscience nette du danger imminent et s’inspirant, sans aucun doute, des intérêts de l’État, n’exerçaient désormais aucune influence dans le pays et le Gouvernement n’en tenait aucun compte. Cependant, même cette Douma pacifique, qui ne luttait pas pour le pouvoir, inspirait des inquiétudes à la démocratie révolutionnaire et les Soviets poursuivaient une campagne violente pour l’abrogation de la Douma et du Conseil d’Empire. En août, les déclarations de la Douma se firent de plus en plus rares, et lorsque le 6 octobre Kérensky, sur les injonctions du Soviet, eut décrété la dissolution de la Douma ([1]), cette nouvelle ne fit aucune impression dans le pays.

Plus tard, l’idée de la 4ème Douma d’Empire ou d’une réunion de toutes les Doumas, en tant qu’appui du pouvoir, fut galvanisée par M.-V. Rodzianko qui y resta attaché pendant la campagne du Kouban et la période « des volontaires et d’Ékatérinodar » de la lutte antibolcheviste.

Mais la Douma était morte.

Il est difficile de dire si l’abdication de la Douma, au mois de mars, était vraiment inéluctable, si elle était commandée par la corrélation effective des forces en compétition ; si une Douma « censitaire » pouvait conserver les éléments socialistes qui en faisaient partie et maintenir dans le pays l’influence qu’elle avait acquise grâce à sa lutte contre l’autocratie… Une chose est certaine : c’est que pendant les années troubles de la Russie, lorsqu’ aucune représentation nationale normale n’était possible, tous les gouvernements n’ont jamais cessé de sentir la nécessité de quelque succédané de cette représentation, ne fût-ce que pour se créer une tribune, pour donner une détente à l’état d’esprit général, pour appuyer et partager sa responsabilité morale. Tel fut le « Conseil Provisoire de la République Russe », à Pétrograd (octobre 1917) dont l’initiative venait, d’ailleurs, de la démocratie révolutionnaire, qui y cherchait un contrepoids au deuxième congrès des Soviets, projeté par les bolcheviks ; tels furent aussi les débris de l’Assemblée Constituante

  1. La durée légale de cinq ans expirait le 25 octobre.