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exécutés ; verdicts judiciaires, dont on ne faisait que rire. Toutes les mesures coercitives s’appesantissaient dans le sens de la moindre résistance : uniquement contre le commandement loyal, qui subissait, sans se plaindre, les vexations d’en haut et d’en bas. Le gouvernement et le ministère de la guerre, abandonnant les répressions, eurent recours à un nouveau moyen d’agir sur les masses : aux appels. Des appels au peuple, à l’armée, aux cosaques, à tous, tous ; tous inondaient le pays, invitant tout le monde à faire son devoir. Malheureusement, les seuls appels qui obtinrent du succès furent ceux qui, flattant les vils instincts de la foule, l’invitaient à enfreindre son devoir.

Finalement, ce ne fut ni la contre-révolution, ni un esprit d’aventures, ni le césarisme, mais un élan spontané des éléments conscients des intérêts de l’État et désireux de rétablir les lois concernant la conduite de la guerre, qui donna jour à cette nouvelle tendance :

S’emparer du pouvoir militaire !

Cette tache ne convenait ni à Alexéiev, ni à Broussilov. Ce fut Kornilov qui, plus tard, l’assuma, en se mettant, de son chef, à réaliser une série de mesures militaires importantes et en adressant des ultimatums au gouvernement ([1]).

Il est intéressant de comparer à cette situation celle où se trouvait le Commandement des armées de notre ennemi alors puissant. Ludendorff, premier Général-quartier-maître de l’armée allemande, dit : ([2]) « En temps de paix, le gouvernement impérial était tout-puissant vis-à-vis de ses administrations… Dans les premiers temps de la guerre, les ministres s’habituaient difficilement à voir dans le Grand Quartier un pouvoir que la grandeur de la cause faisait agir avec d’autant plus de force qu’il y en avait moins à Berlin. J’aurais voulu que le gouvernement se rendît compte de cette situation si simple… Le gouvernement poursuivait son chemin et ne renonçait à aucune de ses intentions pour satisfaire les vœux du Grand Quartier. Au contraire, il négligeait beaucoup de ce que nous considérions comme indispensable pour les intérêts de la conduite de la guerre… »

Si l’on y ajoute qu’au mois de mars 1918, Haase, à la tribune du Reichstag, déclarait avec beaucoup de justesse : « Le chancelier n’est qu’une enseigne qui couvre le parti militaire. C’est Ludendorff qui, en fait, gouverne le pays », — on comprend de quel immense pouvoir le commandement allemand croyait devoir disposer pour gagner la guerre mondiale.

J’ai retracé le tableau général de la situation où se trouvait le Grand Quartier au moment où je fus appelé aux fonctions de chef

  1. Au commencement il n’était question que de la « plénitude du pouvoir » du commandement supérieur dans les limites de ses compétences.
  2. « Souvenirs de Guerre ».