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choisit le dernier. Le 5 avril, j’entrai dans l’exercice de mes fonctions de chef de l’état-major.

Cependant, cette nomination à moitié imposée, encore que me faisant l’aide immédiat du généralissime, ne manqua pas d’influer sur nos rapports : une certaine ombre se glissa entre le général Alexéiev et moi et elle ne fut dissipée que vers la fin de son commandement. Le général Alexéiev voyait dans ma nomination une espèce de tutelle gouvernementale… Obligé, dès mes premiers pas, à me mettre en opposition avec Pétrograd, ne poursuivant que les intérêts de la cause, cherchant, souvent à son insu, à éviter au généralissime toutes sortes de difficultés et de conflits dans lesquels j’intervenais personnellement à sa place, je finis par établir entre le général Alexéiev et moi des relations empreintes de cordialité et de confiance, telles qu’elles sont restées jusqu’à sa mort.

Le 2 avril, le général Alexéiev reçut le télégramme suivant : « Le Gouvernement Provisoire vous nomme Généralissime. Il est convaincu que, sous votre direction ferme, les armées de terre et de mer rempliront jusqu’au bout, leur devoir envers la Patrie ». Vers le 10, parut l’ordre de ma nomination.

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D’une façon générale, le Grand Quartier n’était pas aimé. Dans les milieux de la démocratie révolutionnaire, il était considéré comme le foyer de la contre-révolution, encore qu’il n’eût nullement justifié cette appellation : du temps d’Alexéiev, il poursuivait une lutte hautement loyale contre la décomposition de l’armée sans jamais intervenir dans la politique générale ; du temps de Broussilov, ce fut un opportunisme penchant même à certaines avances à la démocratie révolutionnaire. Quant au mouvement de Kornilov, sans être au fond contre-révolutionnaire, il avait en effet pour objet la lutte contre les Soviets à moitié bolchevistes. Mais, dans cette occurrence même, la loyauté des membres du G.Q.G. fut évidente : seuls quelques-uns d’entre eux prirent une part active au mouvement de Kornilov ; après la liquidation de l’ensemble des généraux en chef auxquels furent substitués les « glavkoverkh » (commandants en chef), presque tout le G.Q.G. (sous Kérensky) ou sa grande majorité (sous Krylenko) continua à expédier les affaires courantes.

L’armée, elle non plus, n’aimait pas le Grand Quartier. Cette antipathie était en partie méritée, mais en partie due à des malentendus, car l’armée ne se rendait pas un compte exact de la juridiction des divers organes et attribuait au G.Q.G. certains défauts du ravitaillement, de l’existence, des mutations, des récompenses etc. — toutes choses qui étaient exclusivement du ressort du Ministère de la Guerre et des organes qui lui étaient subordonnés. Il exista toujours entre le Grand Quartier et l’armée un certain éloignement.