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commandant de la 4ème armée, le général Ragosa. Il y avait là les généraux Gavrilov, Sytchevsky et le chef de l’état-major, Younakov. Le comte Keller, n’ayant pas reconnu le nouveau pouvoir, n’assistait pas à la conférence.

On nous communiqua un long télégramme du général Alexéiev, empreint d’un pessimisme sans espoir ; il y était question d’un commencement de désorganisation de l’appareil de l’État et de la décomposition de l’armée ; de l’activité démagogique du Soviet pesant sur la volonté et la conscience du Gouvernement Provisoire ; de l’impuissance totale de ce dernier ; de l’ingérence des deux organes dans l’administration de l’armée. Pour parer à la désagrégation de cette dernière on se proposait… d’envoyer au front, pour convaincre les soldats, des délégués, membres de la Douma et du Soviet, dont la manière de voir eût répondu aux intérêts de l’état.

Ce télégramme nous fit à tous la même impression :

Le Grand Quartier lâchait la direction des armées.

Cependant, une réprimande sévère venant du commandement suprême, soutenu par l’armée qui, pendant la première quinzaine, était demeurée obéissante et disciplinée, eût pu remettre à sa place le Soviet, qui exagérait son importance ; elle eût pu empêcher la « démocratisation » de l’armée et exercer une action appropriée sur le cours des événements politiques sans assumer le caractère ni d’une contre-révolution, ni d’une dictature militaire. La loyauté du commandement et l’absence, de sa part, de toute opposition active à la politique destructrice de Pétrograd, ont dépassé toutes les prévisions de la démocratie révolutionnaire.

L’action de Kornilov est venue trop tard.

Nous rédigeâmes ensemble une réponse où nous proposions des mesures énergiques contre toute ingérence étrangère dans la direction de l’armée.

Le 18 mars je reçus l’ordre de me rendre immédiatement à Pétrograd auprès du Ministre de la Guerre. Je fis rapidement mes préparatifs et, partis la même nuit, profitant d’une combinaison complexe de voitures, d’automobiles et de chemins de fer, j’arrivai, cinq jours après, dans la capitale.

En route, passant aux états-majors de Letchitsky, Kalédine, Broussilov, je rencontrai beaucoup de personnes, militaires ou se trouvant en rapports constants avec l’armée, et j’entendis partout les mêmes doléances, la même prière :

« Dites-leur qu’ils causent la perte de l’armée… »

Le télégramme ne faisait aucune allusion à l’objet de ma convocation. J’étais là-dessus dans une ignorance complète et angoissante, faisant mille conjectures, mille suppositions.

À Kiev seulement, le cri d’un marchand de journaux qui passait en courant me combla d’étonnement :

« Dernières nouvelles !… Le général Dénikine nommé chef de l’État-major du généralissime… »