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Provisoire « investi de la plénitude du pouvoir », ôtait aux monarchistes toutes leurs armes. D’autre part, on craignait que la guerre civile n’ouvrît le front à l’ennemi extérieur. À celle époque, l’armée obéissait à ses chefs. Or, ceux-ci — le général Alexéiev et tous les commandants en chef — avaient reconnu le nouveau pouvoir. Le nouveau Généralissime, le grand-duc Nicolas Nicolaïevitch, déclarait dans son premier ordre du jour : « Le pouvoir est instauré dans la personne du nouveau Gouvernement. Pour le bien de notre patrie, moi, le Généralissime, je l’ai reconnu, donnant ainsi l’exemple de notre devoir de soldat. J’ordonne à tous les hommes de nos glorieuses armées de terre et de mer d’obéir inébranlablement, par l’intermédiaire de leurs chefs immédiats, au gouvernement qui vient d’être instauré, Alors seulement Dieu nous accordera la victoire.»

* * *


Le temps passait.

Bientôt nous reçûmes le premier décret du Ministre Goutchkov modifiant le règlement intérieur du service militaire dans le sens de la démocratisation de l’armée ([1]). Ce décret, assez inoffensif à première vue, annulait les titres que les soldats devaient donner aux officiers, interdisait le tutoiement des soldats par les chefs et abrogeait toute une série de restrictions insignifiantes imposées aux hommes par l’ancien règlement, telles que : défense de fumer dans les rues et autres endroits publics, de fréquenter les clubs ou les réunions, de jouer aux cartes, etc.

Les conséquences de ce décret furent absolument inattendues pour ceux qui ne connaissaient pas la psychologie des soldats. Les chefs, eux, comprenaient fort bien que s’il était indispensable d’annuler certaines formes surannées, il fallait le faire peu à peu, avec prudence et, surtout, sans attacher à cette réforme l’importance d’une « conquête de la révolution … »

La masse des soldats, qui n’avait nullement médité sur la portée de ces petites modifications du statut, les accueillit simplement comme un affranchissement du règlement gênant du service, des usages et de la hiérarchie.

La liberté, et voilà tout !

Plus tard, dans son ordonnance du 24 mars, le Ministre de la Guerre eut à expliquer les dispositions du décret dans le genre de celles-ci : « les hommes ont le droit de fréquenter librement, à l’égal de tous les citoyens, tous les endroits publics, théâtres, réunions, concerts, etc., ainsi que de voyager sur les chemins de fer dans les voitures de toutes les classes. Cependant la liberté de fréquenter ces endroits n’implique nullement le droit d’en jouir à titre gratuit, comme l’ont, paraît-il, compris certains soldats…»

  1. Décret du 5 mars.