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— Sauve-nous !

Quant à lui, le soldat intègre, le grand patriote — peu versé dans la politique, connaissant peu les hommes, désespéré dans l’âme et aspirant à donner héroïquement sa vie pour le pays, exalté par les sympathies vraies et par les flatteries, espérant, comme tout le monde, la venue de l’homme prédestiné qu’on attendait, dans une tension nerveuse inouïe — il finit par croire au caractère providentiel de sa mission. Dans cette foi, il vécut et combattit : elle ne s’éteignit qu’avec lui sur les rives escarpées du Kouban.

Kornilov devint un drapeau. Pour les uns, celui de la contre-révolution, pour les autres, celui du salut de la Patrie.

Autour de ce drapeau commença la lutte pour l’influence, pour l’autorité, entre des gens qui, sans lui, n’auraient pu sortir de la foule.

Le 8 juillet déjà, à Kamenetz-Podolsk se produisit un fait significatif. Dans l’entourage de Kornilov, un premier conflit éclata entre deux hommes : Savinkov et Zavoïko. Savinkov était le révolutionnaire russe le plus en vue, chef du groupe terroriste actif du parti socialiste-révolutionnaire, organisateur des principaux attentats politiques : assassinats de Plehve, ministre de l’intérieur, du grand duc Serge Alexandrovitch et autres. Énergique, cruel, réfractaire à toutes les injonctions de la « morale conventionnelle », méprisant Kérensky et le Gouvernement provisoire, il avait soutenu par des considérations utilitaires le gouvernement provisoire, qu’il était prêt à balayer, à la première occasion. Il vit en Kornilov un instrument qui l’aiderait à créer un solide pouvoir révolutionnaire où il aurait lui, Savinkov, la première place. Quant à Zavoïko, c’est un de ces personnages étranges qui sont venus entourer Kornilov et qui ont joué, pendant les journées d’août, un rôle si important. D’où venait-il ? Kornilov ne l’a jamais bien su. Quand il déposa devant la commission d’enquête, Kornilov déclara qu’il avait fait la connaissance de Zavoïko en avril 1917. Zavoïko avait été jadis « maréchal de noblesse » dans le district de Gaïssine (gouvernement de Podolie), il avait travaillé ensuite aux usines Nobel, à Bakou, puis — selon ses propres dires — s’était occupé de recherches géologiques au Turkestan et en Sibérie occidentale. En mai, il était arrivé à Tchernovitzy : incorporé au régiment de cavalerie du Daghestan comme volontaire, il avait été attaché à l’état-major de l’armée en qualité d’ordonnance de Kornilov.

Voilà tout ce qu’on sait du passé de Zavoïko.

La première dépêche de Kornilov au gouvernement provisoire fut, tout d’abord, rédigée par Zavoïko qui « en avait fait une sorte d’ultimatum menaçant le gouvernement, au cas où les exigences