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Mais la malédiction dont le traître est marqué ne lui donnera pas le bonheur. Au bout de cette voie, nous trouverions l’esclavage politique, moral et économique.

Le sort du pays dépend de son armée.

Dans la personne des ministres ici présents, je m’adresse au gouvernement provisoire :

Menez la Russie à la vérité et à la lumière « sous l’étendard de la liberté ». Mais donnez-nous la possibilité effective, pour défendre cette liberté, de conduire nos troupes au combat sous nos vieux drapeaux de guerre. Nous en avons — ne craignez rien ! — effacé le nom de l’autocrate, nous l’avons effacé à tout jamais de nos cœurs. Il n’existe plus. Mais il y a la Patrie. Une mer de sang a été versée. Il y a la gloire des victoires passées.

Vous autres, vous avez piétiné nos drapeaux, dans la boue. L’heure est venue : ramassez-les, et inclinez-vous devant eux… … Si vous avez une conscience !… »

* * *


J’avais terminé mon discours. Kérensky se leva, me serra la main, et me dit :

— Je vous remercie, général, de vos paroles courageuses, et sincères.

Plus tard, quand il déposa devant la commission suprême d’enquête ([1]), Kérensky expliqua son attitude en disant qu’il n’avait pas voulu approuver le sens de mon discours, mais seulement la fermeté que j’avais témoignée. Il avait eu l’intention de marquer son respect pour toute opinion indépendante, fût-elle diamétralement opposée aux sentiments du gouvernement. Mais en réalité — ici je cite ses paroles : « Le général Dénikine traçait pour la première fois le programme de la revanche : il composait la musique de la future réaction militaire ». Il y a là une profonde erreur. Nous n’avions certes pas oublié les causes de la défaite de Galicie en 1915, mais d’autre part, nous ne pouvions pas pardonner Kalouche et Tarnopol en 1917. Notre devoir, notre droit, notre obligation morale, c’était de rendre impossibles et la Galicie et Tarnopol.

Après moi, le général Klembovsky prit la parole. J’étais sorti : je n’entendis que la fin de son discours. En termes mesurés, mais dans le même esprit que moi, il exposa la situation de ses troupes. Il termina par une proposition que, seul, le désespoir le plus profond avait pu lui inspirer : il demandait qu’on supprimât l’autorité unique du chef ; celui-ci serait remplacé par un triumvirat constitué par le commandant du front, un commissaire et un soldat élu par ses camarades.

Le général Alexéiev était souffrant. Il prononça un bref discours

  1. Dans l’affaire Kornilov.