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Cette opération sans gloire nous a causé des pertes importantes qu’il est difficile encore d’évaluer exactement : chaque jour des bandes de déserteurs rallient leurs unités. Plus de 20.000 blessés ont passé par les postes d’évacuation. Je vais indiquer, sans en tirer de conclusions, un certain nombre de chiffres, qui ne manquent pas d’intérêt : blessés grièvement, 10 % ; blessés aux doigts et à la main, 30 % ; blessés superficiellement (dont les pansements n’ont pas été retirés), 40 % — il faut compter probablement dans ce nombre beaucoup de simulateurs ; et enfin, contusionnés et malades, 20 %.

C’est ainsi que les opérations se sont terminées.

Jamais, auparavant, je n’avais eu l’occasion d’engager une bataille avec une telle supériorité en hommes et en munitions. Jamais la conjoncture ne m’avait fait entrevoir d’aussi brillantes possibilités. Sur un front de dix-neuf verstes, j’avais 184 bataillons contre 29 bataillons ennemis, 900 canons contre 300 allemands : j’ai conduit au feu 138 bataillons contre les 17 de l’adversaire qui se trouvaient en première ligne.

Et tout s’est écroulé.

De toute une série de rapports rédigés par les chefs, on peut conclure que les dispositions morales des troupes étaient, immédiatement après la défaite, aussi incertaines qu’auparavant.

Trois jours après, j’ai réuni les commandants d’armée et leur ai demandé :

— Vos armées sont-elles capables de résister à une sérieuse offensive des Allemands qui mettraient en ligne leurs réserves ? On m’a répondu : Non.

— Peuvent-elles soutenir le choc des forces allemandes que nous avons actuellement devant nous ?

Le commandant de la 10ème armée déclara qu’il le croyait. Deux autres firent des réponses vagues, posèrent des conditions. Mais voici quel fut l’avis général.

« Nous n’avons pas d’infanterie. »

Je dirai plus :

Nous n’avons pas d’armée. Et il faut en créer une, sans retard, conte que coûte.

Les lois que le gouvernement vient de promulguer remettent l’armée dans la bonne voie. Mais elles n’ont pas encore pénétré profondément : il est difficile de savoir quels sentiments elles suscitent. Cependant, les répressions ne suffisent pas, c’est clair, pour tirer l’armée de l’impasse où elle s’est engagée.

On répète à chaque instant : ce sont les bolcheviks qui ont désorganisé l’armée. Je proteste contre cette explication. Elle est fausse. La débâcle a été voulue par d’autres : quant aux bolcheviks, ce ne sont que des vers abjects qui pullulent dans l’organisme suppurant.

Ce qui a désorganisé nos troupes, ce sont les lois militaires de