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On attendit longtemps, une heure, une heure et demie, l’ouverture de la conférence. Puis on apprit qu’il s’était produit un petit incident. Le ministre de la Guerre n’avait été reçu à la gare ni par le général Broussilov, ni par son chef d’état-major, le général Loukomsky : tous deux, ils avaient été empêchés, par des affaires urgentes, d’aller au-devant du train. Kérensky attendit longtemps : il finit par perdre patience ; il envoya au général Broussilov son aide de camp, porteur d’un ordre cassant : le généralissime avait à se rendre immédiatement à la gare et faire son rapport au ministre. Cet incident passa presque inaperçu. Mais ceux qui ont vu de près la scène politique savent que les acteurs qui s’y produisent ne sont que des hommes, avec toutes leurs faiblesses… et que le jeu continue souvent dans les coulisses.

À la conférence participaient les personnages suivants : Kérensky, président du conseil, Téréchtenko, ministre des affaires étrangères, le général Broussilov, chef suprême des armées, et le général Loukomsky, son chef d’état-major, les généraux Alexéiev et Roussky, le général Klembovsky, commandant en chef du front Nord, moi-même, commandant en chef du front Ouest, et le général Markov, mon chef d’état-major, l’amiral Maximov, les généraux Vélitchko et Romanovsky, — Savinkov, commissaire aux armées, et deux ou trois jeunes gens de la suite de M. Kérensky.

Broussilov adressa aux assistants un bref discours qui m’étonna par sa tournure vague et trop générale. En réalité, il parla pour ne rien dire. Je me persuadai qu’il tiendrait sa promesse à la fin de nos travaux, quand il les résumerait et en dégagerait les conclusions. Je me trompais : le général Broussilov ne sortit plus de son silence. Après lui, on me donna la parole. Je m’exprimai en ces termes :

* * *


« C’est avec une profonde émotion et dans le plein sentiment de ma haute responsabilité morale, que je commence mon rapport. Je vous prie de m’excuser : au temps de l’autocratie impériale, j’ai toujours parlé franchement et sans ambages ; je ne changerai pas de langage aujourd’hui, sous l’autocratie révolutionnaire.

« Quand j’ai assumé le commandement du front, j’ai trouvé les troupes en pleine décomposition. J’en ai été d’autant plus surpris que, ni dans les rapports adressés au Grand Quartier Général, ni au moment même de ma nomination, la situation ne m’était apparue dans un jour si désavantageux. Mais le fait est facile à expliquer : tant que les corps d’armée étaient sur la défensive, ils n’ont pas commis d’infractions trop graves à la discipline. Dès qu’il s’est agi d’accomplir son devoir, quand l’ordre a été donné d’occuper les tranchées de départ en vue de l’offensive, l’instinct de