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CHAPITRE XXIX

La Conférence des Ministres et des Commandants en Chef au G. Q. G., le 16 juillet.


Dès que je fus rentré à Minsk, venant du front, je reçus l’ordre de me rendre, pour le 16 juillet, au Grand Quartier Général, afin d’y participer à d’importantes délibérations. Kérensky avait demandé à Broussilov d’inviter à Mohilev les chefs les plus compétents, à son jugement, qui examineraient la véritable situation des armées, les conséquences de l’écroulement de juillet et la voie où l’on engagerait la politique militaire dans l’avenir. Il paraît que le général Gourko, invité par Broussilov, ne fut pas admis par Kérensky à prendre part aux délibérations. Le Grand Quartier adressa au général Kornilov une dépêche lui demandant d’exposer par écrit son opinion sur les questions soulevées, la situation difficile sur le front Sud-Ouest ne lui permettant pas de quitter son poste. Rappelons-nous qu’à ce moment — le 14 et le 15 juillet — la 11ème armée était en pleine retraite, du Sereth vers le Zbroutch, et que nous nous demandions tous, avec angoisse, si la 7ème armée réussirait à passer le Sereth inférieur et la 8ème la ligne des Zaliéchriki, afin d’échapper à la pression des armées allemandes qui coupaient les routes.

Le pays et l’armée étaient à la veille d’une catastrophe : aussi décidai-je de faire, sans me préoccuper des conventions de l’étiquette, un tableau exact de l’état des troupes, dans toute sa réalité affreuse.

J’arrivai chez le généralissime. Broussilov me dit, à mon grand étonnement :

« Antoine Ivanovitch, je me suis rendu compte nettement qu’on ne peut aller plus loin. Il s’agit de trancher la question. Ces commissaires, ces comités, cette démocratisation mènent à leur perte l’armée et la Russie. Je veux exiger catégoriquement qu’on cesse de désorganiser l’armée. Vous me soutiendrez, je l’espère. »

Je lui déclarai que j’étais absolument de son avis et que j’avais l’intention de poser la question de l’avenir de l’armée en termes aussi nets et aussi décisifs que possible. Je dois avouer que cette démarche de Broussilov me le rendit fort sympathique et que je supprimai, mentalement, dans mon discours, toute l’amertume que j’avais amassée contre le commandement suprême.