Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/304

Cette page n’a pas encore été corrigée

de Mlynov, qu’on accusa d’avoir causé cette catastrophe. Ce mauvais régiment, complètement corrompu, quitta de son propre chef la ligne de combat, découvrant le front. C’est là un fait navrant — mais il serait trop simple d’y voir une cause. En effet, dès le 9, les comités et les commissaires de la 11ème armée télégraphiaient au gouvernement provisoire « toute la vérité sur les événements ». « L’offensive allemande, déclenchée le 6 juillet, prend les proportions d’un fléau formidable qui menace peut-être de la ruine la Russie révolutionnaire. Le moral des troupes, que les efforts héroïques d’une minorité avaient naguère poussées en avant, a brusquement empiré. L’enthousiasme du début s’est vite dissipé. La plupart des régiments se décomposent de plus en plus. Il n’y a plus d’autorité, plus d’obéissance ; les conseils et les exhortations ne font plus aucun effet : on y répond par des menaces, parfois par des coups de fusil. À plusieurs reprises, l’ordre d’avancer sans délai, pour soutenir les troupes de choc, a été discuté pendant des heures dans des meetings — les renforts sont partis avec une journée de retard. Certains régiments abandonnent les tranchées sans même attendre l’approche de l’ennemi. Sur des centaines de verstes on voit se traîner vers l’arrière des colonnes de fuyards avec ou sans fusils, valides, frais et dispos, absolument sûrs de l’impunité. Parfois des unités entières s’en vont ainsi… La situation exige les mesures les plus sévères… Aujourd’hui le commandant en chef, d’accord avec les commissaires et les comités, a donné l’ordre de tirer sur les déserteurs. Il faut que le pays connaisse la vérité… qu’il en frémisse et qu’il se décide à frapper sans pitié tous ceux qui, par leur lâcheté, perdent et trahissent la Russie et la Révolution. »

La 11ème armée « malgré son écrasante supériorité en nombre et en matériel, battait en retraite sans qu’on pût l’arrêter » ([1]). Le 8, elle était déjà sur le Sereth, traversant, à l’Ouest de ce fleuve, sans essayer de s’y cramponner, les fortes positions d’où était partie notre glorieuse offensive de 1916. Boehm-Ermolli avait lancé à notre poursuite une partie de ses troupes, vers Tarnopol, mais il dirigeait le gros de ses forces vers le Sud, entre le Sereth et la Strypa, menaçant d’intercepter les lignes de communication de la 7ème armée, de la jeter dans le Dniestr et, peut-être, de couper la retraite, ensuite, à la 8ème armée. Le 9 juillet, les Austro-allemands arrivaient déjà à Micoulintsé, à une journée de marche au Sud de Tarnopol… Les armées des généraux Sélivatchov et Tchérémissov ([2]) étaient dans une situation critique : impossible de manœuvrer ; on ne pouvait que se retirer devant la poursuite, à marches forcées. La 7ème armée était particulièrement menacée elle se retirait sous une double pression, du côté du front, c’étaient les corps du comte

  1. Rapport officiel du Grand Quartier Général.
  2. Qui avait remplacé le général Kornilov, nommé le 7 juillet commandant en chef du front Sud-ouest.