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Soudain et d’eux-mêmes les vieux préjugés qui répandaient l’irritation dans les rangs des soldats, s’étaient écroulés ; tandis que les officiers, se ressaisissant, devenaient plus sérieux, plus laborieux.

Mais des flots de journaux, de proclamations, de résolutions et d’ordres provenant d’autorités ignorées et, en même temps, une masse d’idées nouvelles firent irruption dans les rangs des soldats qui n’étaient pas capables de se les assimiler. Puis vinrent des hommes nouveaux avec des paroles nouvelles — des discours pleins de promesses et de séductions qui libéraient les soldats de toute subordination et leur donnaient l’espoir de l’écartement immédiat du danger de mort. Lorsqu’un commandant de régiment s’informa naïvement s’il ne fallait pas traduire ces hommes devant la cour martiale et les fusiller, il fut répondu, de Pétrograd, à son télégramme qui avait passé par toutes les instances, que ces hommes étaient inviolables et étaient délégués dans les camps par le Soviet, dans le but même d’éclairer les soldats sur le sens véritable des événements politiques…

Lorsque, maintenant encore, les chefs de la démocratie révolutionnaire qui n’ont pas tout à fait perdu le sentiment de leur responsabilité d’avoir mené la Russie à sa chute, disent que ce mouvement, déterminé par une divergence sociale profonde entre la classe des officiers et celle des soldats et, l’asservissement absolu de ces derniers, portait, un caractère instinctif, fatal, auquel ils n’avaient pu résister, — c’est là un mensonge avéré. Toutes les devises fondamentales, tous les programmes, la tactique, les instructions, les directives, posés à la base de la « démocratisation » de l’armée, avaient été élaborées par les sections militaires des partis socialistes longtemps avant la guerre en dehors de toute pression des « éléments », mais partant de calculs clairs et nets, — produits de la « raison et de la conscience socialistes ».

Il est vrai que les officiers engageaient les soldats à ne pas croire à ces « paroles nouvelles » et les exhortaient à continuer de faire leur devoir. Mais il faut ne pas oublier que, dès les premiers jours, les Soviets avaient déclaré les officiers ennemis de la révolution ; dans bien des villes déjà on leur avait infligé les plus cruelles tortures et même la mort ; et leurs bourreaux étaient restés impunis… Il devait y avoir des raisons pour que même du sein de la « bourgeoisie » Douma d’Empire ait surgi l’étrange et inattendue « déclaration » suivante : « Ce 1er mars, parmi les soldats de la garnison de Pétrograd, les bruits s’étaient répandus que les officiers auraient enlevé les armes aux soldats. Ces bruits vérifiés, dans deux régiments, se trouvèrent être faux. À titre de président de la Commission militaire du Comité provisoire de la Douma d’Empire, je déclare que les mesures les plus radicales, allant jusqu’à la peine de mort, seront prises pour prévenir de pareils actes de la part des officiers. Colonel Engelhardt. »

Ensuite parurent l’ordre du jour n° 1, diverses déclarations, etc.