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d’où qu’elle vînt, était sacrée… » discutait longuement avec Lénine, au sein du Soviet, sur la question de la désagrégation du pays et de l’armée… Tsérételli prenait ardemment la défense de Lénine : « je ne suis pas d’accord avec la politique préconisée par Lénine. Mais ce qu’en dit le député Choulguine est de la calomnie. Jamais Lénine n’a suscité de mouvements qui auraient enfreint la marche de la révolution. Lénine fait une propagande purement idéologique ([1]) ».

Cette fameuse liberté de pensée favorisait à tel point la propagande germanique qu’on était arrivé à un fait tout à fait inouï : l’agent de l’Allemagne et président de la conférence de Zimmerwald et de Kiental, Robert Grimm, tenait des réunions publiques dans les capitales et à Kronstadt, dans lesquelles il prêchait ouvertement la paix séparée avec l’Allemagne et le discrédit du gouvernement provisoire !… À quel état de prostration morale fallait-il qu’on eût abouti, à quelle perte de toute dignité et conscience nationales, à quel manque de patriotisme pour que Tsérételli et Skobelev pussent « se porter garants » pour un agent provocateur, Kérensky — « solliciter » du gouvernement le droit d’entrée en Russie pour Grimm, Terestchenko — l’accorder, et les Russes prêter l’oreille aux discours de Grimm… sans révolte, sans indignation…

Lors du soulèvement armé des bolcheviks, au mois de juillet, quelques fonctionnaires du Ministère de la Justice, outrés de la tolérance indigne dont firent preuve, à cette occasion, les membres dirigeants du gouvernement, décidèrent, au su du ministre Péréversiev, de faire connaître au public ma lettre au Ministère de la Guerre, ainsi que d’autres documents accusant Lénine de trahison à la Patrie. Ces documents, sous forme de déclaration, signés par deux socialistes — Alexinsky et Pankratov furent communiqués à la presse. Cette affaire, prématurément ébruitée, souleva d’ardentes protestations de la part de Tchéidzé, Tsérételli et le courroux des ministres Nekrassov et Terestchenko. Alors le gouvernement interdit de publier ces informations qui pourraient jeter un blâme sur le bon renom de Lénine et usa de mesures répressives… à l’égard des fonctionnaires du Ministère de la Justice. Cependant, la déclaration parut dans la presse. À son tour, le Comité exécutif du Soviet des députés ouvriers et soldats manifesta une sollicitude des plus touchantes non seulement au sujet de l’inviolabilité des leaders bolchevistes, mais encore quant à leur honneur, proposant, dans un appel spécial du 5 juillet, de s’abstenir de propager des accusations diffamantes contre Lénine et d’ « autres hommes politiques » jusqu’à ce que l’affaire fût examinée par une commission spéciale. Cette attitude envers les bolcheviks eut son explication dans la résolution des Comités exécutifs centraux (8 juillet), qui, tout en blâmant la tentative anarcho-bolcheviste de renverser le gouvernement,

  1. Recueil de discours. Discours, prononcé le 27 avril, à la séance des membres de la Douma d’Empire.