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et en particulier, ceux du Comité de rédaction du périodique « Na Tchoujbiné » à organiser des conférences dans les camps de prisonniers, tandis que l’espion allemand, le consul von Pelche, recrutait activement parmi les émigrés russes de la gauche qui avaient atteint l’âge du service militaire, des agitateurs pour la propagande dans l’armée.

Mais tout cela n’était qu’un travail préliminaire. La révolution russe avait ouvert des perspectives infinies à la propagande allemande. En dehors des hommes honnêtes qui avaient été naguère persécutés et qui luttaient sincèrement pour le bien du peuple, la Russie fut envahie par la lie révolutionnaire formée d’éléments de l’ « Okhrana » russe, de l’espionnage international et d’émeutiers.

Les autorités de Pétrograd craignaient par-dessus tout d’être accusées de tiédeur démocratique. Le ministre Milioukov avait déclaré à maintes reprises que le « gouvernement considérait tout à fait admissible le retour en Russie de tous les émigrés, sans se préoccuper de leur attitude envers la guerre, ni de ce que leurs noms figurassent dans les listes de contrôle international » ([1]). Le ministre entra en pourparlers avec les Anglais, exigeant d’eux de relâcher les bolcheviks qu’ils tenaient en état d’arrestation, Bronstein (Trotsky), Zourabov, etc.

Pour Lénine et ses adeptes ce fut plus compliqué, car, nonobstant les réclamations du gouvernement russe, les Alliés, sans aucun doute, ne leur auraient pas laissé traverser leur pays. Voilà pourquoi selon le témoignage de Ludendorff, le gouvernement allemand expédia Lénine et ses compagnons (en premier lieu 17 personnes) en Russie, laissant à leur convoi libre passage par l’Allemagne. Cette entreprise, qui devait dans la suite donner de si graves résultats, était largement subsidiée, en or et en valeurs, par des agences allemandes à Stockholm (Ganetzky-Furstenberg) et à Copenhague (Parvous), et par la Banque russe de Sibérie. Mais l’or, selon l’expression de Lénine, « n’a pas d’odeur ».

En octobre 1917 Bourtzev fit paraître une liste de 159 personnes qui avaient passé en Russie à travers l’Allemagne par ordre de l’état-major allemand. C’étaient, d’après Bourtzev, pour la plupart des révolutionnaires qui, durant les premières années de la guerre, avaient mené, en Suisse, une campagne défaitiste et qui, maintenant, se trouvaient être des « agents conscients ou inconscients de Guillaume ». Nombre d’entre eux occupèrent incontinent des places en vue dans le parti social-démocrate, dans le Soviet, dans le Comité ([2]) et dans la presse bolcheviste. Les noms de Lénine, Zederbaum (Martov), Lounatcharsky, Nathanson, Riasanov, Appelbaum (

  1. Dans ces listes figuraient les noms de ceux qu’on soupçonnait d’entretenir des rapports avec les gouvernements ennemis.
  2. Zourabov et Perasitch qui avait servi sous Parvous furent dans la suite membres du Comité.