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CHAPITRE II

L’état de l’ancienne armée avant la révolution.


Un rôle important dans l’histoire de l’armée russe fut joué par la guerre japonaise.

L’amertume de la défaite et la conscience nette de notre terrible infériorité provoquèrent un grand essor de la jeunesse militaire et la firent peu à peu changer de dispositions d’esprit, tandis que les éléments surannés et routiniers s’effaçaient. Malgré la résistance passive des personnages qui se trouvaient à la tête du Ministère de la Guerre et de l’état-major, — personnages soit incapables, soit absolument insouciants et indifférents à l’égard des intérêts de l’armée — le travail continuait fiévreusement. En dix ans de temps, l’armée russe, sans avoir, bien entendu, atteint l’idéal, avait fait, cependant, d’énormes progrès. On peut dire avec assurance que sans la cruelle leçon de Mandchourie la Russie eût été écrasée dès les premiers mois de la grande guerre.

Cependant, le « nettoyage » du commandement se poursuivait avec trop de lenteur. Notre mollesse ( « Pauvre homme, il faut bien le caser » ), le système de pistonnage, enfin, le droit d’aînesse trop rigoureusement appliqué, tout cela encombrait d’éléments indésirables les listes du commandement supérieur.

La commission suprême d’attestation, qui se réunissait une fois par an, ne connaissait presque personne de ceux sur lesquels elle avait à se prononcer.

Cela explique les erreurs des premières nominations : plus tard il fallut éloigner quatre commandants en chef (l’un d’eux, provisoire, il est vrai, était atteint de paralysie cérébrale) ; plusieurs commandants d’armées, un grand nombre de commandants de corps d’armée et de chefs de division.

Dès les premiers jours de la concentration de la 8e armée, (juillet 1914), le général Broussilov destitua trois chefs de division et un commandant de corps d’armée.

Cependant, des gens incapables demeuraient à leurs postes, causaient la perte des troupes et l’échec des opérations. Le général D…, de l’armée de ce même Broussilov, occupa successivement des postes dans une division de cavalerie et trois divisions d’infanterie jusqu’à ce qu’il eût trouvé le repos dans la captivité allemande.

Le plus fâcheux, c’est que toute l’armée connaissait l’incapacité de certains de ses chefs et s’étonnait de leur nomination.