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sont, certes, plus riches que nous ; mais, sur leur front, la guerre n’est pas finie. En outre, nos ennemis se payeront bien plus facilement, si c’est à nos dépens.

Au point de vue international, nous devons prouver que nous sommes encore capables de combattre. Je ne veux pas que l’on persiste à « révolutionner » l’armée. Autrement, il arrivera que nous ne pourrons plus ni attaquer, ni nous défendre. La défensive est, du reste, bien plus pénible que l’offensive. En 1915, tandis que nous battions en retraite, les chefs commandaient, on leur obéissait. Vous pouviez alors vous montrer exigeants : c’est nous qui avions instruit les troupes. Maintenant la situation est bien différente : vous avez créé une armée nouvelle et vous nous avez dépouillés de notre autorité. Vous ne pouvez plus nous attribuer la responsabilité des événements, c’est à vous qu’elle incombe, entièrement.

Vous dites : « la révolution continue ». Écoutez-nous : nous connaissons mieux que vous les sentiments des soldats. Avec eux, nous avons vécu des heures de joie et des heures de deuil. Suspendez la révolution ! Laissez-nous conduire la Russie à la paix par la victoire. Alors, vous pourrez achever votre œuvre.

Autrement nous ne vous restituerons qu’un champ où nos ennemis sèmeront et moissonneront — et la démocratie vous maudira. Car c’est elle qui souffrira si les Allemands sont vainqueurs : c’est elle précisément qui manquera de pain. Quant aux paysans, leur terre les nourrira toujours.

On disait de notre ancien gouvernement qu’il « faisait le jeu de Guillaume ». Se peut-il qu’on vous adresse le même reproche ? Est-il heureux ! Ce Guillaume. Les monarques, et la démocratie — tous les régimes travaillent pour lui.

L’armée est à la veille d’une catastrophe. Le pays est en danger, à un doigt de sa perte. Vous devez le secourir. Il est facile de détruire Vous y avez réussi. Maintenant sachez reconstruire.

LE GÉNÉRAL ALEXÉIEV. — On a dit tout l’essentiel. Et tout est vrai. L’armée est au bord de l’abîme. Un pas encore — et elle y tombera, entraînant dans sa chute la Russie et ses libertés : le malheur sera irréparable. C’est notre faute, à tous. C’est la faute de toutes les expériences qu’on a tentées depuis deux mois et demi.

Nous avons fait tout notre possible pour rendre la santé à notre armée ; nous y appliquerons désormais toute notre énergie. Nous espérons que A.F. Kérensky nous soutiendra, qu’il nous consacrera toutes les ressources de son esprit, de son influence et de sa personnalité. Mais il nous faut davantage encore. Il faut que ceux qui ont désorganisé l’armée nous aident aussi. Ceux qui ont promulgué l’ordre du jour numéro 1 doivent, pour en atténuer les effets, élaborer une série de notices explicatives, de contre-ordres. Si vous ratifiez la déclaration, les dernières assises s’écroulent, les derniers espoirs s’évanouissent — comme l’a dit le général