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ron, n’ont pu s’adapter sur-le-champ. Ils se sont aigris, ils sont rentrés dans leur coquille et ne savent que devenir. Nous voulons briser cette coquille, nous voulons réconcilier ces mécontents avec le soldat. Nous avons besoin d’officiers pour continuer la guerre, et nous n’en avons pas d’autres. Beaucoup de nos officiers ignorent tout de la politique, beaucoup sont incapables de faire un discours : tout cela les isole. D’autre part, il est nécessaire d’expliquer à la masse et de lui faire comprendre que la liberté appartient à tout le monde. Je connais le soldat depuis quarante-cinq ans, je l’aime : je m’efforcerai de le rapprocher de ses officiers. Mais, de leur côté, le gouvernement provisoire, la Douma d’Empire et, surtout, le Soviet des députés ouvriers et soldats doivent tout faire pour faciliter ce rapprochement. Il faut agir sans tarder, pour l’amour du pays.

Il le faut aussi parce que la foule ignorante a interprété à sa façon la formule « une paix sans annexions ni contributions ».

Un de nos régiments a déclaré qu’il refusait d’avancer, qu’il allait quitter le front et que chacun allait rejoindre son pays. Les comités s’y opposèrent : on les menaça de dissolution. J’essayai de faire entendre raison à ce régiment ; après que j’eusse demandé aux soldats si je les avais convaincus, ceux-ci sollicitèrent la permission de répondre par écrit et, quelques minutes après, je lisais cette affiche : « La paix coûte que coûte ! À bas la guerre ! »

Un peu plus tard, un des soldats me demanda : « Puisqu’on a dit : pas d’annexion, que nous importe cette montagne ? ». Je lui répondis : « Cette montagne ne m’est pas nécessaire, mais il faut en chasser l’ennemi qui l’a occupée. »

En définitive, on me promit de tenir, mais on refusa d’attaquer : et voici pour quel motif : « Notre ennemi n’est pas méchant ; il nous a annoncé qu’il n’attaquerait que si nous attaquions. L’important pour nous, c’est de pouvoir rentrer au pays, pour y jouir de la liberté et de la terre. À quoi bon nous faire estropier ? »

Offensive ou défensive ? Le succès n’est possible que lorsqu’on attaque. En cas de défense passive, il arrive toujours que le front soit rompu. La brèche peut être réparée quand les troupes sont bien disciplinées. N’oublions pas que les nôtres sont désorganisées et mal préparées. Nos officiers n’ont aucune autorité. Un succès de l’ennemi peut nous conduire à la catastrophe. Voilà pourquoi il faut persuader à la masse que nous devons non pas nous défendre, mais attaquer.

Nous avons, certes, des côtés faibles, mais sans aucun doute nous possédons la supériorité numérique. Si l’ennemi défait les Français et les Anglais et s’il nous attaque ensuite nous aurons du mal à nous défendre.

Il nous faut un gouvernement fort qui puisse nous soutenir. Nous saluons de tout cœur le gouvernement de coalition. Un