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un commandant de corps d’armée décida, à la légère, de rendre impraticable une excellente route militaire, ce qui mit les troupes dans une situation des plus pénibles. Le général commandant de l’armée le destitua. Dans la suite, l’officier destitué vint me faire part, en toute sincérité, de son profond étonnement : pourquoi le révoquait-on ? N’avait-il pas agi selon les suggestions de son commissaire ?

Le commissariat reflétait les doctrines du soviet des députés ouvriers et soldats, il soutenait — à l’abri d’une immunité vraiment touchante — les droits nouvellement acquis du soldat, et pourtant, il ne fut pas à la hauteur de sa tâche principale : la direction de la vie politique des armées. La plupart du temps la propagande la plus destructive s’exerça librement. Les meetings, les comités de soldats votèrent, tant qu’ils le voulurent, des motions hostiles à l’État, hostiles au Gouvernement. Les commissaires ne sortaient de leur inertie que les jours où l’effervescence tournait à la révolte armée. Cette politique était bien faite pour démoraliser aussi bien la troupe que comités et les chefs.

Le système des commissaires n’atteignit pas son but. Aux yeux du soldat, ils représentaient la contrainte, parfois la répression — et cela même les rendait impopulaires. Ils n’avaient pas l’autorité directe, évidente qui leur eût donné la force, cette force que respectent même les régiments en révolte ouverte contre la discipline. Et cela se confirma par la suite, quand les bolcheviks s’emparèrent du pouvoir : les commissaires furent obligés, les premiers, de quitter leur poste en cachette et en toute hâte.

Et c’est ainsi que dans l’armée russe, au lieu d’une seule autorité, on en vit apparaître trois de genres différents, et tout à fait incompatibles : le commandant en chef, le comité et le commissaire. Pouvoirs fantômes, sur lesquels pesait, les écrasant de toute sa masse inculte et sauvage, la puissance de la foule.

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En examinant ces organes nouveaux : les commissaires et les comités, en étudiant le rôle qu’ils ont joué dans la vie de l’armée russe, je n’ai tenu compte que d’un seul point de vue : la conservation de notre force militaire, facteur principal des destinées de la nation. Mais il ne serait pas juste de limiter ainsi le problème et de l’étudier en dehors des lois générales qui régissent la vie du peuple et la marche de la révolution. Je dirai plus : tous ces phénomènes qui se manifestent au grand jour marquent la succession logique et inévitable des événements, étant donné le rôle qu’a voulu y jouer la démocratie révolutionnaire. Et c’est là qu’apparaît tout le tragique de la situation.

La démocratie socialiste n’avait à sa disposition aucun spécialiste capable de diriger les services techniques de l’armée. D’autre part, elle n’avait ni l’énergie, ni la possibilité d’écraser la résistance de la démocratie bourgeoise et des officiers en les forçant à travailler