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avaient occupé la ligne du Danube, du Sereth et des Carpathes et s’y étaient établies assez solidement. Des troupes roumaines une part se trouvait sur le front, intercalée entre notre 4ème et notre 9ème armées (armée Averesco) ; l’autre s’organisait sous la direction du général français Berthelot et avec l’aide des instructeurs d’artillerie russes. La réorganisation et la formation se poursuivaient avec succès, d’autant plus que les soldats roumains possédaient d’excellentes qualités militaires. J’avais fait connaissance avec l’armée roumaine dès le mois de novembre 1916, lorsque, jeté avec le 8ème corps d’armée à Bouzéo, dans le gros des troupes roumaines en retraite, j’avais reçu l’ordre singulier de marcher dans la direction de Bucarest, jusqu’à contact avec l’ennemi et, ensuite, de protéger cette direction en faisant participer à la défense les troupes roumaines, qui reculaient. Depuis, pendant plusieurs mois, livrant des batailles à Bouzéo, Rimnik, Fokchan, ayant tantôt, à différentes reprises, deux corps roumains sous mes ordres, tantôt l’armée d’Averesco pour voisine, j’appris à bien connaître les troupes roumaines. Au début de la campagne, il apparut que l’armée roumaine ne tenait aucun compte de l’expérience de la guerre mondiale qu’elle avait sous les yeux : l’équipement et l’approvisionnement de l’armée étaient faits d’une façon étourdie au point d’en être criminelle ; on avait quelques bons généraux, des officiers efféminés, très inférieurs à leur tâche, et d’excellents soldats.

Telles étaient les particularités essentielles de l’armée roumaine, qui, plus tard, acquit assez vite une certaine organisation, améliora son équipement et son instruction. D’assez bonnes relations s’étaient établies entre le général russe qui était le commandant en chef de fait, encore qu’il n’eût que le titre d’ « aide », et le chef nominal, le roi de Roumanie. Bien que des premiers excès, commis par les troupes russes, eussent sensiblement gâté leurs relations avec les Roumains, le front, cependant, n’inspirait pas d’inquiétudes sérieuses.

Étant données la situation générale et les conditions sur le théâtre de la guerre, seule pouvait avoir une importance stratégique une grande offensive, entreprise avec des forces considérables dans la direction de Bucarest et une invasion de la Transylvanie. Or, on ne pouvait envoyer des renforts en Roumanie et, d’ailleurs, l’état des chemins de fer roumains ne permettait pas de compter sur une vaste organisation des transports stratégiques et de l’approvisionnement. C’est pourquoi cette partie du front demeurait secondaire ; les troupes qui s’y trouvaient se préparaient à une opération active, mais partielle, ayant pour objet d’immobiliser sur ce secteur les forces austro-allemandes.

Le front du Caucase ([1]) était dans une situation toute particulière. Son grand éloignement ; une certaine autonomie par rapport

  1. Commandé successivement par le grand-duc Nicolas Nicolaïevitch, les généraux Youdénitch et Prjevalsky.