Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/131

Cette page n’a pas encore été corrigée

et d’une pareille mentalité des masses ouvrières, les entreprises périclitèrent ; un manque considérable d’objets de première nécessité s’ensuivit dans le pays et les prix de ces objets montèrent d’une façon vertigineuse. Un des résultats de cette désorganisation de la vie économique du pays fut la hausse du prix du pain et la résistance qu’opposa la campagne à ravitailler la ville.

Cependant, le bolchevisme introduisait dans les milieux ouvriers un élément de fermentation continuelle, favorisant les instincts les plus vils, excitant la haine contre les classes fortunées, soutenant les exigences les plus démesurées, réduisant à l’impuissance toutes les tentatives que firent le pouvoir et les organisations démocratiques pour localiser la débâcle de l’industrie. « Tout pour le prolétariat, tout par le prolétariat… » Le bolchevisme faisait miroiter aux yeux de la classe ouvrière de vastes et alléchants espoirs de domination politique et de prospérité économique, qui seraient réalisés après le renversement du régime capitaliste, lorsque les entreprises, les moyens de production et les richesses auraient passé entre les mains d’un pouvoir ouvrier. Et ceci devait arriver non pas au terme d’une longue évolution sociale et économique, non pas au prix d’une longue lutte organisée, mais sur-le-champ, sur l’heure. L’imagination surexcitée que ne venaient modérer ni l’instruction ni l’autorité des organes professionnels dirigeants, démoralisés par les bolcheviks et subissant une déchéance progressive, suggérait des perspectives séduisantes de vengeance pour toute une vie de labeur pénible et abrutissant, ainsi que l’espoir de participer au bien-être de la vie bourgeoise violemment abhorrée et tout aussi violemment convoitée. Tout de suite ou jamais. Tout ou rien. Et lorsque la vie brisait les illusions, lorsque l’implacable loi économique se vengeait par la vie chère, par la famine, par le chômage, le bolchevisme y puisait de nouvelles raisons d’insister sur la nécessité d’une insurrection, pour signaler les causes de la calamité nationale et indiquer les moyens d’en finir. Ces causes, il les voyait dans la politique du Gouvernement Provisoire « défendant le rétablissement du joug capitaliste », dans le « sabotage » des entrepreneurs et dans la complicité de la démocratie révolutionnaire, qui toute, jusques et y compris les mencheviks, s’était « vendue à la bourgeoisie ». Le moyen d’en sortir, c’était de faire passer le pouvoir au prolétariat.

Toutes ces circonstances détruisaient, peu à peu, l’industrie russe.

Cependant, malgré tous ces bouleversements, l’approvisionnement de l’armée en munitions et matériel de guerre n’avait pas trop souffert de la ruine de l’industrie, grâce, d’une part, à l’accalmie sur le front, et surtout à ce fait que le peu qui restait de la production était concentré, avec la plus grande énergie, en vue de la satisfaction des besoins de l’armée. C’est ainsi que vers le mois de juin 1917, nous disposions de moyens matériels, sinon abondants,