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CHAPITRE XIII

L’œuvre du Gouvernement Provisoire : ravitaillement, industrie, transports, finances…


Dès le commencement du printemps de 1917 la pénurie des vivres, dans l’armée et dans les villes, s’était sensiblement aggravée.

Dans un de ses appels aux paysans, le Soviet déclarait : « Les ennemis de la liberté, partisans du tsar déchu, profitent, pour saper notre liberté et la vôtre, du manque de pain dans les villes, manque qu’ils ont eux-mêmes causé. Ils prétendent que c’est la révolution qui a laissé le pays sans pain… » Cette explication simpliste à laquelle la démocratie révolutionnaire recourait dans tous les cas de désorganisation grave de la vie nationale, péchait par son caractère trop unilatéral. En dehors de l’héritage laissé par l’ancien régime et des conséquences inévitables de trois années de guerre — celle-ci ayant presque totalement suspendu l’importation des machines agricoles et amené la réduction de la surface ensemencée en conséquence de la mobilisation d’un grand nombre de travailleurs de la terre, — il y avait beaucoup d’autres raisons qui contribuaient à la crise du ravitaillement, survenue dans le pays le plus riche en blé et dont la situation, sous ce rapport, était, en automne, officiellement taxée de catastrophique. Parmi ces raisons, les principales étaient : la politique de ravitaillement du Gouvernement Provisoire et les fluctuations des prix fermes ; la dépréciation du rouble et la hausse énorme des prix des objets de première nécessité, hausse qui ne répondait nullement aux prix fermes du blé et qui s’expliquait, en plus des conditions économiques générales, par l’augmentation continuelle des salaires dans l’industrie ; la politique agraire du Gouvernement, l’ensemencement insuffisant des champs et les troubles ruraux ; la désorganisation des transports ; l’élimination totale de l’appareil du commerce[1], l’œuvre entière de ravitaillement étant confiée aux comités de ravitaillement, organes foncièrement démocratiques, mais, à l’exception peut-être des représentants de la coopération, n’ayant aucune espèce d’expérience dans la matière et, en tout cas, n’ayant

  1. Au mois d’août, nous trouvons déjà, dans une déclaration de la démocratie révolutionnaire, la revendication tendant à faire participer l’appareil du commerce au ravitaillement du pays, sans renoncer toutefois au monopole.