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GÉRARD DE NERVAL

comme aussi ma mère reçut le nom de Marie-Antoinette avec celui de Laurence, il est probable qu’ils furent mariés un peu avant la Révolntion. Aujourd’hui, mon grand-père repose avec sa femme et sa plus jeune fille au milieu de ce champ qu’il cultivait jadis. Sa fille aînée est ensevelie bien loin de là, dans la froide Silésie, au cimetière catholique polonais de Cross-Glogaw. Elle est morte à vingt-cinq ans des fatigues de la guerre, d’une fièvre qu’elle gagna en traversant un pont chargé de cadavres, où sa voiture manqua d’être renversée. Mon père, forcé de rejoindre l’armée à Moscou, perdit plus tard ses lettres et ses bijoux dans les flots de la Bérésina.

« Je n’ai jamais vu ma mère, ses portraits ont été perdus ou volés ; je sais seulement qu’elle ressemblait à une gravure du temps, d’après Prudhon ou Fragonard, qu’on appelait la Modestie. La fièvre dont elle est morte m’a saisi trois fois, à des époques qui forment dans ma vie des divisions ré-