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serai plus là pour lui répondre, car je n’ai pas le courage de l’attendre… et puis, comment me pardonnerait-il de l’avoir jugé ? Il s’est montré si misérable à mes yeux, qu’il doit se dire que je ne puis plus l’aimer… Hélas ! il a raison…

Adieu donc, puisque tout est fini pour moi ! Adieu, toi, mon amie ; toi, ta seule qui ne m’aies point trompée ; toi qui m’as aimée, qui m’as comprise ; toi pour qui je voudais vivre, à qui je demande pardon de mourir ! — Pleure-moi, si tu m’aimes, mais ne me plains pas ; mon bonheur était impossible. Va ! si quelque chose doit te consoler, c’est de penser que les seuls doux moments de ma jeunesse, je les ai dus à ton amitié ; et, je l’avoue, ce que je regrette dans la vie, c’est notre gaieté, notre gaieté quand même ; c’est ce bon rire de jeune fille qui se fait jouir à travers les larmes, à travers les mille inquiétudes de l’avenir ; cette chaste insouciance d’un cœur innocent, qui a tout au plus un ou deux rêves un peu hardis à se reprocher.

Oh ! si l’amitié pouvait suffire à ma pensée, je resterais sur la terre pour rire avec toi ; je crois que mon désespoir lui-même finirait par nous amuser. Il y a des moments de crise vraiment risibles dans une passion aussi extravagante que la mienne. Je pense souvent à toi ; tout à coup je m’admire avec indignation ; je me rappelle ton enthousiasme pour ce que tu appelles ma beauté. Quand je regarde ces longs cheveux que tu trouves si admirables, quand moi-même je remarque l’éclat de mon teint et la pureté de mes traits, je m’indigne de n’être pas aimée !… Tu vas te moquer de moi, mais il faut que je te raconte la dernière folie qui m’ait fait sourire. Ce matin, en rentrant chez mou oncle, j’aperçus dans la rue deux jeunes gens qui me regardaient ; l’un dit en me montrant « Regarde donc, quelle belle femme ! » Tu crois que cet éloge m’a flattée ?… point du tout, il me révolta ; je me sentis rougir de colère : malheur à moi ! pensai-je avec amertume ; — être admirée dans la rue par les passants, et n’être pas même regardée dans un bal par lui… que j’aime ! — Ces pauvres jeunes gens ! ils ne se doutent guère que cette femme dont ils admiraient l’élégance, la fraicheur, le lendemain serait immobile et glacée… Ils croyaient parler à une vanité de coquette ; ils n’imaginaient point que leur franche flatterie ne troublait que des pensées de mort…

Cette rencontre m’a fait faire de singulières réflexions. Un compliment qui flatte