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véritable, dont le faux patriotisme a su profiter, avaient ranimé ma nature aventureuse. J’avais entendu crier dans les rues : Vive Napoléon II ! — À ce nom tout mon cœur s’était rallumé ; je voulais me mêler au peuple, arborer le drapeau, délivrer l’aigle emprisonnée, proclamer mon frère ; car, en dépit des lois du monde, je suis sa sœur. — Ma tête était exaltée… J’allais révéler ma naissance ; le feu concentré que j’éteins depuis ma jeunesse allait enfin éclater, j’allais soulager mon âme et déployer un seul jour en ma vie mon véritable caractère ; j’allais agir…

M. de Beaucastel entra tout à coup dans ma chambre  : « Entendez- vous ? lui dis-je. — Le canon ? reprit-il en riant ; et qui ne l’entend pas ? — Quoi ! répondis-je avec impatience, vous n’entendez pas crier le peuple : Vive Napoléon ! » Et je sautais de joie comme un enfant, en répétant  : Vive Napoléon !

« Vous étes folle, s’écria mon oncle ; cette joie est du plus mauvais goût ; vous compromettez votre mère par cette inconvenance. Dans votre position, vous devriez vous taire : vous étes folle, » répéta-t-il ; et il s’éloigna en levant les épaules avec mépris.

Ces paroles me glacèrent. — Là, je reconnus encore cette fatale influence qui avait dénaturé mon cœur, cette voix du monde qui en arrètait tous les nobles élans, et me criait sans cesse : « Ne fais pas cela ; prends garde, tu seras ridicule. »

Ainsi, mon enthousiasme, pendant ces jours de combats, se borna à recueillir deux blessés qui étaient tombés devant la porte ; et encore mon oncle me gronda-t-il beaucoup pour cet acte de pitié, qu’il appela une légèreté impardonnable. En effet, c’était une inconséquence, car l’un de ces blessés était officier dans la garde royale ; l’autre était un ouvrier imprimeur, et mon oncle se trouvait ainsi compromis dans les deux partis. — C’est une chose bien singulière que le courage des gens du monde : jamais arrêtés par la crainte de risquer leur vie, et toujours retenus par de petites considérations ; poltrons par leurs idées, et braves de leurs personnes ; ne craignant point de s’exposer, tremblant toujours de se compromettre… Mais, que m’importe d’avoir remarqué cela maintenant ?… Alfred est ainsi, faible et courageux… le monde a séché son cœur. Peut-être reviendra-t-il un jour à la vie réelle, la vie d’affection… mais je ne