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comme lui, faits à son image, désenchantés, flétris, sans cœur, sans vertus, sans croyance, sans passions, et glacés comme lui, alors il nous élance parmi ses élus, et nous dit avec orgueil « Vous êtes des nôtres, allez ! » Il fallut renoncer aux joies du monde pour entrer dans la solitude d’un cloître… de même il faut dire adieu aux joies du cœur pour entrer dignement dans le monde !… Et ceux pour qui ce sacrifice est impossible, dont l’esprit est désabusé, mais qu’une âme ardente tourmente encore ; ceux que le monde a désenchantés, mais qu’il n’a point flétris ; ceux-là font comme moi, ils meurent pour rester encore dignes au moins de la mission d’héroïsme qu’ils n’ont pas eu le courage d’accomplir.

Car, ne pense pas que je meure par amour !… Tu le croiras peut-être dans ta naïveté ! Oh ! que je voudrais me tuer par amour !… mon dernier soupir serait encore une illusion ! Hélas ! non, ce n’est point parce qu’il me trahit que je me tue, c’est parce que, moi, je n’aime plus… c’est parce que je sens la lèpre d’égoïsme qui me gagne à mon tour ; c’est parce que je ne veux pas vivre morte comme tous ces êtres que je méprise ; c’est parce que je ne veux pas traîner, comme les autres femmes, une existence misérable ; m’établir naivemnent entre deux mensonges, prendre un mari pour le tromper, un amant pour le partager ; élever mes enfants dans une religion dont je doute, et leur prêcher faussement des devoirs que je trahis ; c’est parce que je ne puis êtré hypocrite à toute heure, parce que je ne puis m’aveugler sur moi-mêmé, et condamner les autres femmes, sans m’apercevoir qu’elles ne font guère plus mal que moi ; c’est enfin parce que je garde encule le préjugé de l’honnêteté, et que je veux mourir avant de le perdre. — J’ai placé l’héroïsme dans une vie sans tache, parce que je ne pouvais le mettre dans les grandes actions. Ah  ! si je pouvais encore me dévouer pour une noble cause ; si j’avais foi dans mon pays ; si je pouvais, comme toi, m’écrier avec enthousiasme « France ! France ! patrie !… » je voudrais vivre pour elle, pour assister à son avenir… Mais je ne crois même plus à ce sentirnent qui m’aurait fait vivre ; je l’ai vue si ingrate cette patrie, et je la trouve maintenant si bourgeoise, si matérielle ! Quand je pense que tous ces soldats que l’Empereur a sortis du néant ont renié son fils !… j’éprouve un découragement, un dégoût qui me fait douter de notre grandeur. Il y a quelques mois pourtant, je l’avoue, un peu d’espoir était rentré dans mon cœur. Ces barricades, ces coups de fusil, ce tumulte, ce peuple si courageux et si bon, cet éclair d’enthousiasme