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sa jeunesse ; et pour l’amour, qui vit de feu sacré, l’innocence vaut bien le génie… Mais se voir préférer une femme laide !… mais être jeune, belle, pure, et se voir sacrifiée à une femme laide !… c’est une monstruosité que la vanité seule pouvait produire ! — Une rivale qui n’a rien pour excuser l’amour, ni jeunesse, ni candeur, ni passion… une femme froide et laide !… comment pardonner un tel affront, que rien ne justifie ? Encore, si elle s’était dévouée à lui, si elle l’aimait ! Mais non ; elle a grimacé pour lui plaire quelques jours dans un salon, devant quelques fats qui l’ont remarqué, et cela a suffi pour exalter une tête vaniteuse ; cela a suffi pour causer ma mort !

On peut combattre un amour sincère dans un cœur aimant : s’il me quittait pour une femme belle et aimable, je souffrirais, je pleurerais, mais je pourrais l’aimer encore, et même aussi me flatter de le ramener ; mais un homme qui ne s’attache à une femme que parce qu’elle est capricieuse et duchesse, qui ne voit dans l’amour qu’une réputation d’élégance, et qui sacrifie à cela un sentiment vrai, n’est qu’un homme médiocre qu’on ne peut regretter, à qui je ne pourrai jamais plaire… S’il m’a aimée un jour, c’est par mégarde ; car je n’étais pas ce qu’il cherchait.

Cette duchesse de… est une personne si vulgaire ! Je suis sûre qu’elle sera très flattée de m’avoir fait mourir de chagrin… Oui, Corinne fut moins à plaindre que moi… Elle a, du moins, su accomplir sa destinée ; le feu de son âme a éclaté en génie ; il ne s’est point concentré dans son cœur pour le dévorer. D’ailleurs, ses sentiments exaltés étaient moins étouffés dans cette société d’Anglaises froides et sans idées, que les miens ne le sont dans le monde. Corinne, en Anglelerre, était méconnue, ennuyée, mais elle restait elle-même ; son rime et son génie avaient encore pour eux la solitude ; elle pouvait rêver et prier. Les compagnons de son ennui la laissaient penser à son aise ; ils n’avaient pas la prétention de la comprendre ; ils ne lui parlaient pas de ses idées pour les combattre ; ils ne lui demandaient pas les secrets de ses illusions pour les désenchanter. Les ennuyeux endorment le génie, et ne le dénaturent point ; mais le monde !… le monde !… il nous rend comme lui-même ; — il nous poursuit sans cesse de son ironie, il nous atteint au cœur ; son incrédulité nous enveloppe, sa frivolité nous dessèche ; il jette son regard froid sur notre enthousiasme, et il l’éteint ; il pompe nos illusions une à une, et il les disperse ; il nous dépouille, — et quand il nous voit misérables