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Oh ! si tu pouvais savoir ce que j’éprouve, tu me pardonnerais de mourir ! Si tu savais… quel découragement dans tout mon être ! quel vide affreux dans ma pensée, quel désert dans mon avenir !… quelle lassitude, quel dégoût !… J’éprouve moralement ce qu’on éprouve en mer par un temps d’orage. Le vaisseau va sombrer… qu’importe !… on n’a pas d’émotion pour la tempête. —Une voile amie vient vous sauver !… qu’importe !… on n’a pas un regard pour l’horizon.

Peut-être, si j’avais le courage d’attendre, l’horizon s’éclaircirait-il pour moi ! mais je ne le vois point ; je n’aperçois rien au delà de ma douleur, je ne vois que ce qui m’entoure, mensonge, vanité, misères et désespoir !…

Tu te rappelles combien j’étais joyeuse en allant à ce bal ; combien la nouvelle de cette fortune subite m’avait donné de bonheur ! Elle aplanissait tous les obstacles. Alfred n’osait parler de moi à sa mère parce qie j’étais pauvre, et qu’elle m’aurait refusée. Tout à coup je devenais riche, et, loin de s’opposer à ce mariage, madame de Narcet elle-même l’aurait conseillé. Je te prévoyais pas que rien pût désormais me séparer d’Alfred, et tu as vu comme l’idée de lui apporter la fortune qui lui manquait me rendait libre et joyeuse.

Agitée des pensées les plus riantes, j’arrivai à ce bal. Ô mon Dieu ! quelle soirée ! C’est un cauchemar horrible dont l’image sans cesse me poursuit. Quel changement !… Lui que j’avais toujours vu si bon, si affectueux, si noble !… tout à coup froid, sec, léger, moqueur, fat, ridicule et méchant !… Et moi, qui venais à lui heureuse et dévouée ! — je m’étais parée pour lui plaire… il ne m’a pas regardée. Je venais lui offrir ma vie… il m’a reniée !

Ah ! peut-être il n’aurait eu de regards que pour moi s’il avait su que j’étais riche. Je n’avais qu’un mot à lui faire dire, et peut-être l’aurais-je vu aussi soigneux, aussi empressé près de moi qu’il l’était auprès de cette stupide héritière, qu’il m’a préférée. Je le croyais, hélas ! Cette conviction fut le plus amer de mes sentiments.

Et pourtant je me trompais ; — non, ce n’est pas une femme comme moi qui doit séduire un cœur que la vanité entraîne. Veux-tu savoir, Delphine,