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À la voix argentine on nous voit courir tous.
L’Argent fait nos talents, dénature nos goûts :
Tel eût représenté Socrate, Achille, Horace,
D’un infirme au pouvoir dessine la grimace ;
Tel eût fait pour l’autel des psaumes en latin,
Flétrit son bon curé du nom de calotin ;
Tel eût été flatteur du tyran sous l’Empire,
Se fait flatteur du peuple, et bâcle une satire.
De l’argent du libraire ils sont tous envieux ;
Et puis la médisance — est ce qu’on vend le mieux.

Lui seul fait tous les frais de notre politique :
L’Europe est un bazar, Paris une boutique.
À l’Argent notre orgueil lui-même est immolé ;
Ce que coûte l’honneur est bientôt calculé.
C’est le budget et non l’honneur que l’on consulte.
Quarante millions !… pour venger une insulte,
Ah ! vraiment, c’est trop cher ! — Et l’on courbe le front :
Pour garder son argent, on garde son affront,
Et l’on supporte en paix l’arrogance ennemie…
Par lâcheté ?… Non pas, — mais par économie.

Enfin, dans ce jeune homme au cœur noble, bien né,
À de bas sentiments par son siècle entraîné,
Dans Alfred — j’ai montré ce qu’on est dans le monde,
Quand on veut que la mode ou l’argent vous seconde.
Hélas ! dès qu’on y rêve un brillant avenir,
Il faut se faire avare et vain pour parvenir ;
Car il faut de l’argent, beaucoup d’argent, pour être
Quelque chose à Paris, — et se faire connaître ;
Et, comme Alfred, chacun sacrifie à l’argent
Les rêves de son cœur, d’un cœur même exigeant.
Comme lui, pour briller, à de vaines chimères
On immole ses goûts, ses vertus les plus chères  : —