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Napoline ignorait ces travers ; son amour
Pour Alfred, malgré moi, s’augmentait chaque jour.
Moi seule entrevoyais une cause mortelle
Dans ces défauts mondains qu’il n’avait pas près d’elle !
J’appris alors comment, même sans fausseté,
On trompe un esprit franc, dans ses goûts arrêté.
Un esprit absolu n’a point droit de se plaindre
Des fausses qualités qu’il nous oblige à feindre.
Il doit croire aux vertus que pour lui l’on se fait ;
On sait ce qui le blesse, on sait ce qui lui plaît,
Et jamais il ne court la bienheureuse chance
De surprendre un défaut qu’il a proscrit d’avance.
Puis l’amour rend modeste ; à peine sous sa loi,
On devient plus timide, et l’on doute de soi :
On cherche à s’embellir… Ô modestie étrange !…
On s’admire !… et sitôt qu’on veut plaire, on se change !

Certes, si Napoline avait vu comme nous
Son Alfred dans un bal, avec de jeunes fous,
Minaudant, étalé sur des coussins de soie,
Enivré d’ironie, aux vanités en proie,
Étouffant sous l’orgueil un cœur noble et brûlant,
Pour se faire léger, et n’être qu’insolent,
Elle n’eût point trouvé dans sa voix tant de charmes :
Elle n’eût point, pour lui, répandu tant de larmes !
Mais le malheur voulait que la mort d’un parent
La retînt à l’écart dans un deuil apparent.
Elle ne rencontrait Alfred que chez ma mère :
Là, du monde, pour lui, s’envolait la chimère ;
Au coin du feu, sans faste, avec de vieux amis,
Les succès de l’esprit étaient les seuls permis ;
La froideur des grands airs devenant impossible,
Il était bien forcé de se montrer sensible ;
L’abandon succédait à son dédain moqueur ;