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Mais quand elle eut passé l’âge où le cœur s’enivre
D’un amour de roman qui change avec le livre,
Quand elle se lassa de ces héros parfaits,
Auxquels on ne peut plaire, et qui n’aiment jamais,
Et qu’un beau soir, rêveuse au doux son de la harpe,
Alfred nous apparut, pâle, un bras en écharpe,
Et paré d’un croix recue en combattant,
Je vis que son malheur était juré. — Pourtant,
Le comte de Narcet est un noble jeune homme :
L’éloge retentit aussitôt qu’on le nomme.
À vingt ans il obtint un grade à Navarin,
Une balle à Delhy : c’est un brave marin,
Un savant voyageur qui parcourut le monde.
Son esprit est brillant, sa pensée est profonde…
Mais les lois de la mode, il ne les savait pas ;
Il n’avait d’élégant qu’une blessure au bras.
Eh ! qu’importe l’esprit, les talents, la figure !…
Ici nous n’aimons point les tableaux sans bordure.
Les grandes qualités ne sont rien à Paris
Sans un frac à la mode ou des chevaux de prix ;
Ou bien, ce qui vaut mieux, quelque bon ridicule.
Ce n’est que pour le faux que Paris est crédule ;
Le vrai le trouve sage ; il en doute longtemps :
Tel ne croit pas en Dieu peut croire aux charlatans.
C’est ce qu’il fait, et c’èst pourquoi le jeune comte
De son peu de succès dans un bal avait honte,
Changeait son air rêveur polir des airs d’élégants,
Se ruinait en fracs, gilets, anneaux et gants ;
Et promenant partout sa menteuse richesse,
S’attelait sans amour au char d’une duchesse.