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moins de découvertes nouvelles que de l’agencement bien entendu des notions acquises, et il eut l’ambition de présenter dans un vaste système, selon une méthode absolument démonstrative, tout le savoir humain. Des questions les plus hautes de la théologie naturelle et de la métaphysique aux questions les plus particulières, parfois même les plus insignifiantes de la morale pratique et de la physique empirique, rien n’échappe aux prises de son investigation sévère et de sa discipline : de laces œuvres considérables, par lesquelles il voulait remédier aux deux grands vices dont, selon lui, souffrait la philosophie : le manque d’évidence et le manque d’utilité. A dire vrai, il ne réforma pas la philosophie en philosophe, il la réforma en pédagogue ; il fut, selon Hegel, l’instituteur de l’Allemagne[1]. Dans la Préface de l’un de ses premiers écrits, il annonçait le programme qu’il s’était tracé : « La raison, la vertu et le bonheur sont les trois principales choses auxquelles l’homme doit tendre en ce monde. Et quiconque se rend attentif aux calamités du temps présent voit comment elles résultent du défaut de lumière et de vertu. Des gens qui sont des enfants par l’intelligence, mais des hommes par la perversité, tombent en foule dans une grande misère et une grande corruption... Ayant observé en moi dès la jeunesse une grande inclination pour le bien de l’humanité, au point de désirer rendre, tous les hommes heureux si cela était en mon pouvoir, je n’ai jamais rien eu plus à cœur que d’employer mes forces à une œuvre telle que la raison et la vertu pussent croître parmi les hommes.[2] »

Cette conception d’un accord essentiel entre la science, la vertu, le bonheur et l’utilité sociale avait été déjà, comme on l’a vu, exprimée par Leibniz : mais elle est manifestement énoncée ici dans un sens plus dogmatique, plus littéral, plus immédiatement tourné vers l'application pratique.

  1. Werke, XV, p. 477
  2. Vernünftige Gedanken von Gott, der Welt und der Seele des Menschen, 3e éd., 1725, Vorrede.