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jamais toute, méthodiquement et explicitement. Au surplus, ses contemporains ne furent guère en état de s’assimiler toute sa pensée : ils n’en accueillirent pas aisément les expressions les plus spéculatives. C’est ainsi que la doctrine des monades, en son sens authentique, ne rencontra pas beaucoup de partisans. En revanche, certaines idées générales incluses dans son système, dès qu’elles commencèrent à se répandre, eurent une grande fortune ; en se resserrant et se limitant, elles entrèrent pour une large part dans la composition de l’esprit du XVIIIe siècle : telle, l’idée d’une science formée de concepts clairs et bien liés, capable de trouver à tout une raison suffisante, d’assurer aussi par l’extension des connaissances un accroissement continu de perfection et de bonheur dans la nature humaine ; telle, l’idée d’un ordre providentiel qui, en se réalisant dans le monde donné, en fait le meilleur des mondes possibles, et selon lequel la finalité même de la nature aboutit par un progrès certain à l'accomplissement des fins morales. Une conception optimiste de la raison et de la science permettait d’accorder immédiatement la moralité, d’une part avec l’intérêt général aussi bien qu’avec le contentement de chacun, d’autre part avec la piété et la foi en ce qu’elles ont de con- forme à la pratique et à la vérité salutaires[1]. « La véritable piété, et même la véritable félicité, consiste dans l’amour de Dieu, mais dans un amour éclairé, dont l'ardeur soit accompagnée de lumière. Cette espèce d’amour fait naître ce plaisir dans les bonnes actions qui donne du relief à la vertu, et l'apportant tout à Dieu, comme au centre, transporte l’humain au divin. Car en faisant son devoir, en obéissant à la raison, on remplit les ordres de la Suprême Raison. On dirige toutes ses intentions au bien commun, qui n’est point différent de la gloire de Dieu : l’on trouve qu’il n’y a point de plus grand intérêt particulier que

  1. Sur le mélange des intentions scientifiques, philanthropiques et religieuses dans les projets les plus importants de Leibniz, cf. L. Couturat. La logique de Leibniz, 1901, p. 135-138.