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D’une raideur exagérée, marchant presque trop droit, elle avait son allure sinistre et son haleine alcoolisée. Elle alla directement à la chaise sur laquelle elle s’assit pour poser, en oubliant de retirer son feutre. Elle ne semblait pas s’apercevoir du scandale muet qu’elle suscitait.

Les bras toujours croisés, Harlingues remuait de haut en bas la tête, et ses dents dévoraient sa lèvre inférieure. La scène qu’il ne pouvait pas faire devait se passer de cette façon-là. Comment faire une scène ? D’abord il ne savait pas l’anglais, ensuite on ne parle pas aux ivrognes, en troisième lieu la coupable, dès les premiers mots, s’enfuirait épouvantée.

« Voilà donc où nous en sommes !… » rugissait-il intérieurement.

Il se sentait trompé, bafoué par cette créature autour de laquelle il échafaudait tant d’avenir. Le dépit, la rancune grondaient. N’était-il pas plus simple de la mettre tout de suite à la porte de son atelier et de sa vie ? Il ne lui faudrait pas tellement de temps pour l’oublier.

À cette seconde, la balance du destin oscilla terriblement au-dessus de sa tête. Une envie d’homme en colère le tenaillait : Prendre cette femme aux épaules, la pousser dehors, claquer la porte dans son dos. Quel soulagement enivrant ! Quel rire de délivrance, ensuite !

Il fit un geste, et s’arrêta. Ses colères, il avait toujours à les regretter par la suite.

— Qu’est-ce que vous dites ?…

Sans bouger de sa pose, elle venait de parler. C’était en anglais. Il s’approcha d’un pas rageur. Elle ne leva pas les yeux, mais, sous son feutre, tira sur l’une de ses mèches ardentes. Il entendit le rythme sans comprendre les mots. Elle scandait des vers.

Il leva les yeux au ciel. Elle en était revenue exactement au soir de Montparnasse. Les échelons qu’il avait cru