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t-elle pas ? » est un supplice géométrique sans doute plus sain que les rêves imprécis, les grandes chimères chevauchées dans le vide.

Il avait d’avance le front bas et la démarche lente, en revenant à son atelier. Il vit à la porte Mrs Backeray qui l’attendait dans la rue.

Un si grand coup dans le cœur, un bonheur si enfantin, comme c’est tonique, comme cela fait vivre fort !

— Oh ! vous voilà !… Vous voilà !… s’exclama-t-il en courant à elle.

Et quand ils furent entrés, la porte refermée, il tendit ses mains avec un large sourire. Sa bonne figure rasée, toute rouge de plaisir, l’accueil de ses petits yeux d’eau pure dans les cils noirs valaient mieux que toutes les paroles. Mrs Backeray le sentit bien. Le regard qu’elle avait toujours pour commencer, peureux et comme reculé des gens et de la vie, s’éclaira de l’espèce de sourire, tellement rare, qui surprenait sur son visage angoissé.

You are such a boy !… dit-elle en prenant les mains tendues.

Elle lui entoura le cou de son bras, et le regarda longuement, maternellement. Geste bien anglais, elle secouait la tête avec un petit claquement de la langue, comme pour se gronder elle-même de sa faiblesse pour ce boy sentimental.

— Vous m’aimez un peu ?… demanda-t-il d’un air timide.

Elle ne répondit pas. Elle lui donna sur la joue une légère tape, et, par signes, indiqua qu’il fallait travailler.

— Oui, oui… Vous avez raison !

Une grande joie le faisait continuer à sourire. Travailler avec l’approbation, la présence tendre et comme protectrice de cette femme en face de lui, pensant à lui, jamais encore il n’avait connu cela. Une atmosphère d’intimité, d’intellectualité, de labeur cordial, un peu amoureux, venait de se