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rédalga

Aux heures les plus difficiles de la journée, Rédalga se mit à lire fiévreusement. Installée dans l’herbe, à deux pas du sculpteur en proie à ses ciseaux, son agitation douloureuse se manifestait par d’incessants changements de pose.

Elle se mettait sur un côté, puis sur l’autre, s’allongeait sur le ventre, s’asseyait, le tout avec des soupirs, à la manière des malades dans leur lit. Parfois Jude, qui l’étudiait à la dérobée, la voyait pâlir, lever la tête de sur son livre, s’étirer. Alors, fébrile, elle allumait une cigarette pour tromper d’autres tentations. Et cette lutte silencieuse avait quelque chose de dramatique.

C’était ce moment épineux qu’avait choisi le sculpteur pour compulser leurs méthodes. Ils s’installaient pendant une heure à la table du salon et, tour à tour, se donnaient une leçon de prononciation.

Deux ou trois fois, il parvint à susciter le petit rire rauque de son amie, grande victoire qui l’enchantait comme un enfant,

— Écoute, laissons la méthode un instant. Tu vas me dire : « Pruneau de Tours. » Say it after me.

« Prrou-nio dé ta-aur », articulait Régalda, la bouche tordue par l’effort.

Ensuite, c’était elle qui proposait la difficulté. Harlingues s’essayait à dire, en aspirant tous les H : How high he holds his haughty head. Et l’on eût dit qu’il voulût, sans y parvenir, avaler une bouchée trop grosse.

Parfois lorsqu’ils sortaient du salon pour retourner à la fontaine, elle emportait la méthode pour continuer à travailler toute seule. Puis, un jour, il y eut une innovation. Fière de dire d’un seul trait sa phrase étudiée d’avance, Rédalga déclara :

— Je vais coudre.

— Tu vas coudre ?… Tu sais donc ?…