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rédalga

rance : chacun dans sa cellule, ils ne sont pas tout à fait seuls.

Jude se savait aimé. Les raisons de cet amour lui échappaient. Rédalga, de même, ne pouvait deviner que, révélée par cette lettre du poète brésilien, elle avait été, pour ainsi parler, aimée par oui-dire avant de l’être pour son mystère exaspérant et son corps passionné.

Peut-être Harlingues eût-il été détraqué par une telle liaison, à laquelle manquait justement le principal, si sa bonne santé d’âme et de sang n’eût été puissante assez pour le garder en équilibre au milieu de ces hauts et bas saccadés.

Du reste, les mêmes raisons qui les séparaient à l’aube de leur union avaient toutes les chances d’en maintenir l’enchantement au delà des limites ordinaires, puisqu’ils étaient appelés à rester indéfiniment un secret l’un pour l’autre, et dans cet état de non-développement qui crée le charme de tous les préludes.

À la fois immense et menu, le bruit de la pluie cessa dans l’après-midi du quatrième jour. La grisaille, fragmentée par quelque coup de vent, s’écarta pour laisser reparaître dans le ciel un beau quartier de bleu pur. Un coup de soleil passa par la lézarde, et le parc ruisselant brilla d’une lumière fatigante pour les yeux.

Harlingues en était au plus attachant de son nouveau travail. L’ébauche qu’il avait faite d’une Rédalga coiffée de fleurs des champs, évocation de toute la poésie anglaise, menton haut, bouche de drame, profil à la Rossetti, commençait à prendre vie. Il l’avait sculptée jusqu’à la taille, le cou nu dans sa blouse de toile bise. La raideur britannique de ses épaules et de son torse ajoutait à l’expression particulière qui était la sienne.

La joie de retrouver son art faisait chanter l’âme de l’artiste. Il avait vu le coup de soleil dans le parc, mais il ne voulait pas l’avoir vu. Quitter sa glaise pour aller jouer les collégiens en vacances ne lui était pas possible.