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rédalga

Alvaro, sur un accord plus mélancolique que tous les autres. Il faut que je rentre à Paris.

Il se leva, vit sur le guéridon les trois volumes de vers, en ouvrit un au hasard.

— Comme c’est beau ! dit-il tout bas après avoir lu.

— Oh ! s’écria Jude en s’élançant, je t’en prie, essaie de me traduire quelques mots… Seulement quelques mots.

— Cher, c’est tellement absurde quand on essaie. Il faudrait un poète comme Rodrigo. Je peux te dire le sens, si tu veux. Ce poème que je viens de lire est très clair. Il y a juste une ou deux tournures qui m’échappent. Elle dit qu’elle est seule devant un petit feu, un soir d’hiver, et qu’elle entend les ténèbres l’appeler. Sa maison est chaude autour d’elle, et belle, et peut-être c’est le bonheur, mais le bonheur n’est pas fait pour elle. Elle a, depuis trop longtemps, pris l’habitude de n’être pas heureuse. Derrière les vitres noires il y a des voix qui l’attirent, et, tout à l’heure, dans le froid et la nuit, elle s’en ira toute seule vers son génie, vers son destin désespéré… Cher, tu vois, ça ne dit rien du tout, répété comme ça. Mais les vers sont admirables !

Il ne vit pas qu’Harlingues était un peu pâle.

— Et quel est le titre de ce poème ? demanda-t-il.

— Ça s’intitule : The Call. (L’appel.)

Mrs Backeray s’était approchée, comprenant qu’on commentait ses vers. Elle s’entretint avec Alvaro. Ils semblaient discuter, non sans vivacité.

— Quoi ? Quoi ? s’informait Jude.

— Elle dit que ce poème est trop romantique, qu’il n’est pas bon, qu’elle ne l’aime pas. Je lui réponds qu’elle est bien difficile.

— Ah ! Elle ne l’aime pas ?… fit rêveusement Harlingues.

Et, pour lui-même, il ajouta :

— Tant mieux !