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rédalga

Pourquoi, tranquille parmi tes œuvres massives et tes chimères insaisissables, grand artiste et brave homme, troubler ta vie ? Tu n’as pas assez d’argent et pas assez de temps. Tu as autre chose à faire que de t’instituer le chien de T’erre-Neuve d’une malheureuse. Elle t’a intéressé pendant plus d’un mois, tu auras fait un beau buste d’elle. Il suffit. Quand elle sera sortie de ton existence, il te restera le meilleur d’elle : sa tête à caractère, son masque dramatique, le mouvement de sa chevelure orageuse. Un plâtre de plus dans ton atelier, voilà tout.

Une avide curiosité de revoir ce buste le faisait marcher vite à travers les rues sur l’asphalte poisseux de juillet finissant. Le matin brûlait déjà, fournaise.

C’est le bonheur de l’artiste de retrouver avec des yeux rafraîchis par la nuit la chose qu’il a travaillée la veille. Il attend la surprise, bonne ou mauvaise, d’après laquelle il jugera si l’œuvre est réussie ou manquée ; car, arrivé dessus en étranger, il peut la regarder à froid, comme le produit d’un autre.

Au creux de la boîte à lettres qu’il ouvrait chaque jour à sa porte avant d’entrer, dans laquelle il ne trouvait presque jamais rien, il y avait quelque chose.

Il déchira l’enveloppe sans timbre, apportée par quelqu’un.

Cher, je ne veux pas, en ce moment, te déranger dans ton travail. Mais comme je souffre de ne pas te voir, veux-tu me faire l’amitié de déjeuner avec moi, demain ? Je viendrai te prendre vers une heure. Je serais très heureux st Mrs Backeray voulait se joindre à toi. Je vais également prier Rodrigo qui m’a fait téléphoner hier au soir, retour de Londres. Je passe chez lui cet après-midi.

À demain, n’est-ce pas ?…

Alvaro.