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toir pour rentrer à pied chez lui, si loin, sûr de ne pas diner et de ne pas dormir.

Pendant que s’allongeaient ses grandes enjambées, de nouvelles complications s’ajoutaient à celles qui, depuis quelque temps, bousculaient sa tête, ordinairement farcie de simple sculpture.

Aimer une femme pour la première fois, certes, c’est un bel événement dans la vie d’un homme de trente-huit ans. Mais quand cette femme est, premièrement, une étrangère avec laquelle on ne peut pas parler, deuxièmement une aventurière ténébreuse, troisièmement une ivrogne incorrigible, est-il sage de vouloir pousser jusqu’au bout ce qui n’est encore que tendances amoureuses ?

L’aimait-il ? Il aimait son mystère ; il aimait aussi la pitié généreuse qu’elle lui inspirait ; il aimait enfin, et de toute son énergie de lutteur, la difficulté dressée devant lui.

« Donc, c’est parce qu’elle est étrangère ; dangereuse et tombée. Alors, pourquoi lui reprocher ses obstacles, si mon plaisir est justement de les franchir ? »

Il se sentit penché vers un abîme. Il était temps encore de s’arrêter sur le bord. Ce recul de poltron ne lui plaisait guère.

Égoïste et philosophe, il conclut en arrivant chez lui : « Finissons toujours le buste. Après, on verra. »

Et, parce que son art l’emportait encore sur ses sentiments, orgueilleusement il marqua le coup, heureux aussi de se rassurer.

La nuit agitée qui s’ensuivit apporta cette sage conclusion : « Décidément, il vaut mieux cesser de la voir. »

Il ne s’agissait plus de la mettre à la porte, mais de la laisser s’éliminer d’elle-même. Pas de cruauté, pas de violence. Ne plus s’attacher à elle, renoncer à l’aventure, tout simplement.